C’est seule aujourd’hui que je pars rayonner dans les rues de Tokyo; j’ai choisi d’explorer un quartier proche de la gare de Ochanomizu, à un arrêt de l’hôtel. En cherchant mon chemin, j’entre un peu par erreur dans un petit sanctuaire Confucéen; le style des temples et des pavillons est différent des autres, tout laqué noir où ressortent bien les kanjis couleur or. Yushima seido renferme également un collège.
Un peu plus loin, je trouve mon objectif initial, Kanda Myojin, un pimpant sanctuaire shintoïste fondé au huitième siècle, dominant sur une colline. Les fidèles sont nombreux sur le large parvis autour duquel sont réunis les lieux d’offrandes, de prières, de partage, de commerce; ils y prient les kami – divinités ou esprits – du mariage et du succès dans les affaires, que l’on repère dans différents petits autels tout autour du sanctuaire principal. La porte d’entrée, à deux étages, fut reconstruite dans les années 1990, en bois de cyprès. Les peintures vermillon et les figures de créatures fantastiques, aux couleurs vives laquées sont les principaux attraits pour moi comme touriste.
Je remonte sur mon plan et aussi dans les rues en pente pour découvrir, cerné au milieu des immeubles Yushima Tenjin, un ravissant temple où l’on vénère depuis le quatorzième siècle Sugawara Michizane, poète du neuvième siècle devenu divinité du Savoir! Au moment des examens, les étudiants affluent et je peux le croire au vu des tonnes d’emas, ces plaquettes votives en bois accrochées autour du bâtiment principal de ce sanctuaire. Des échoppes de souvenirs, d’amulettes et de nourriture sont en nombre important dès la porte principale et un jardin tout mignon permet aux gens de s’y asseoir pour un pic-nic simple et convivial, semble-t-il. Les pruniers sont en boutons, ils attendent certainement que toute trace de neige ait fondu pour éclore de leurs fleurs aux tons de rose et faire renaître le Hanani, coutume japonaise d’admirer les arbres en fleurs.
Je progresse dans les ruelles vallonnées et une flèche indiquant Kyu Iwasaki-Tei Gardens me fait dévier de ma direction. Il s’agit d’une superbe propriété, perchée sur un promontoire, résidence du premier fondateur de la société Mitsubishi. La bâtisse, construite en 1896, se compose d’une partie de style purement pavillon japonais et qui servait d’appartement privé à la famille. Adjacente, l’imposante maison de style occidental, avec un balcon à colonnade à l’étage, permettait d’y recevoir et héberger les amis et les relations. Ce mélange de styles traduisait la richesse, la réussite, la prospérité, la modernité de cet empire commercial.
Le vent souffle fraîchement, je me réfugie dans le métro en direction de Tokyo Station, une grande gare où se croisent les lignes de train, de métro, de shinkansen – les tgvs japonais. A l’est de la gare, s’étend Ginza, le centre des magasins et en fait partie le quartier appelé Yaesu où Tobby hier m’a parlé de la plus grande libraire de la ville. Je monte dans les étages, vers les rayons en langues française et anglaise, trouve quelques revues pour Yves et je m’installe ensuite à la cafétéria pour rédiger tout en faisant ma pause de la journée.
Plan en mains, je traverse des rues, me dirigeant vers un canal puis vers la Sumida où nous sommes passés hier sur notre bateau. Les couleurs sont superbes en cette fin d’après-midi, le ciel au loin est orangé là où le soleil disparaît derrière les immeubles, les ponts sont éclairés de bleu ou de jaune, la lune est pleine et nous sourit dans un ciel pur … j’envie les habitants des appartements qui longent cette rivière toujours animée par le passage des bateaux.
Shin a envoyé une adresse, où je devrais les rejoindre vers 18 heures pour partager le repas du soir. Un nom de quartier, des numéros en série … heureusement qu’il m’a dit que le bâtiment se trouve en face du fameux magasin Mitsukoshi mais je n’ai plus le temps de m’y faufiler. Je trouve non seulement le building mais aussi l’étage et la salle où a eu lieu le workshop. Et là, j’épate les japonais, ils n’hésitent pas à m’appeler la swiss super woman ! Leurs femmes à eux aussi sont des super women, qui bossent, font le ménage, s’occupent des enfants et si elles ont le malheur d’engager une femme de ménage ou une baby-sitter, Shina m’a dit qu’elles sont considérées comme des fainéantes. Quand je pense à la vie des femmes expatriées à Singapore, je n’ose en parler …
Pour le workshop Shin a réuni vingt-cinq personnes, d’horizons variés, des entrepreneurs, des académiques, des médecins et tous sont très enthousiastes. Shin, Tobi, Tsutsumi et Yves ont animé la journée ; à la sortie, on dirait une grande famille … ils se connaissent déjà tous. Pendant que Yves signe les livres et pose pour les photos, certains viennent me saluer dans la salle de réception … ce n’est pas difficile de deviner qui je suis! Un jeune vient même me donner sa carte, il a fêté cette semaine ses trente-cinq ans et il lance un business de bistrots au décor nordique et avec du café finlandais. Le séminaire de ce samedi semble lui avoir donné une énergie terrible. Il connaît un peu la Suisse, son épouse a fait ses études au Rosey!
Toutes ces personnes sont vraiment attachantes … parviendra-t-on à les revoir ou à garder le contact? Ce serait presqu’un job plein temps!
Shina nous fait faux bon pour le repas du soir, il faut dire que nous sommes un samedi soir. Nous sommes six pour le repas, Shin nous emmène dans un restaurant chic, de cuisine française – ils se font autant plaisir eux-mêmes avec ce choix, pense-t-on. Le service est stylé, le menu est recherché et c’est Yves qui a la tâche de choisir le vin. Tsutsumi est de compagnie très agréable, aussi bavard et enjoué que Shin et Tobi; les sujets de discussion sont variés, on parle de l’Europe mais aussi de l’Asie, des écoles et des voyages, des enfants et des relations de travail … Et cela se clôture par une jolie photo de groupe et des accolades, avec l’espoir de se revoir.