Que font tous ces gens déjà à 9 heures du matin dans le parc Ueno? Ils viennent réserver leur emplacement bien sûr pour festoyer Sakura et aussi prendre des tonnes de photos! Je suis moi-même aux anges de voir enfin ces fleurs de cerisiers tant espérées. Je traverse l’étang vers le temple bouddhiste flottant Bentendo dédié à la déesse des arts, de la connaissance, de la sagesse puis son allée où les échoppes de nourriture sont ravies de voir arriver la foule; des poissons embrochés autour des braises, qui vont soudain sentir bon le barbecue, des biscuits en forme de nounours cuits sur place, d’autres en forme d’épis à la tête chocolatée, des brochettes de viande crue … il y en a pour tous les goûts.

Je remonte jusqu’au petit sanctuaire Gojo Tenjin sha, le préféré de Kato et son tunnel de Torii rouges, avant de découvrir, oh merveille, la large esplanade qui mène au Musée National.

Quel monde et qu’elle bonne humeur! Les cerisiers blancs se sont épanouis ces derniers jours, offrant une galerie au toit fleuri splendide. Le spectacle au sol vaut aussi le détour: des familles, des groupes d’amis, des collègues semblent s’être installés pour rester! Certains ont construit tables et sièges en carton, recouverts ensuite de nappes et ont emmené nourriture et boissons pour tenir un siège. C’est une occasion de faire la fête, de boire du saké; certains ont campé la nuit ici pour réserver leur emplacement. Je me rends à présent bien compte de ce que signifie ce festival du cherry blossom au Japon!

Il est 10 heures, je retrouve Sheena à la gare Keisei pour me laisser guider – une fois n’est pas coutume – à la découverte d’un parc dit gouvernemental, situé une heure à l’ouest de la ville (mais toujours DANS la ville). Comment a-t-elle donc compris mon attirance pour les jardins, les fleurs, les espaces verts? Il se fait que pour elle aussi c’est un plaisir de s’éloigner une journée de la ville trépidante. Le temps passe vite à papoter dans le train bondé qui nous amène à Tachikawa ; c’est un district qu’elle ne connaît pas. Nous sommes surprises par la foule qui fourmille dans cette gare, par les grandes enseignes de Takashimaya, Isetan et même Ikea, par un monorail et aussi des trottoirs en altitude pour rejoindre notre destination – ce qui n’étonne par conte que moi, ce sont des dames qui frottent à faire briller les balustrades de notre chemin … ainsi en pleine zone d’affluence, de pollution!

Le Showa Kinen Park a été aménagé en l’honneur de l’empereur Showa, Hirohito, qui était au pouvoir durant la période de la deuxième guerre mondiale. C’est vraiment immense et cela permet de ressentir un souffle de liberté et d’espace malgré les centaines, voire milliers, de japonais qui ont eu la même idée. Il s’agit d’un parc récréatif où nous nous laissons aller, attirées tantôt par l’animation ou par le calme, tantôt par un tapis de fleurs ou par des arbres superbes. Les gens viennent en famille, il y a beaucoup d’enfants, ils se promènent ou bien ont loué un vélo; les poussettes sont très utilisées pour les chiens (on verra même quelqu’un porter son animal domestique adoré comme un bébé dans un sac kangourou!).

Les pic-nics se passent sur une couverture au sol ou alors dans un espace prévu pour barbecues : de petites tentes pour protéger du soleil, des tables avec un grill à la braise incrusté au milieu … et les crevettes, les huîtres, le poisson, les légumes se dégustent joyeusement, tout chauds, tout croustillants. Je suis certaine qu’aucun déchet ne subsistera après cette journée estivale en plein air. La température est délicieuse, le soleil n’est pas trop agressif, même si mes épaules ce soir seront un peu rougies.

Le plan mentionne des piscines pour le plein été et également de nombreux terrains de sport, de pétanque ou des places de jeux. Des dunes artificielles formées de gros ballons blancs gonflables font la joie des enfants et les dragons qui sortent du sol font penser un peu aux mosaïques de Gaudi.

J’aime évidement le coin du jardin japonais, sa quiétude, ses tortues qui se chauffent sur les rochers, sa nature qui se reflète dans l’étang. Nous voyant intéressées par les bonsaïs un des jardiniers nous fait partager sa passion, en nous racontant l’origine de tel ou tel conifère de plus de quatre-cents ans d’âge et qui furent trouvés dans la montagne où ils manquaient d’eau et d’espace pour prospérer. Selon la variété, ils sont rentrés pour l’hiver ou au contraire restent en extérieur, sauf en cas d’orage ou tempête. Avec sa longue pince à épiler et avec une délicatesse d’orfèvre, il extrait les fleurs fanées d’un superbe érable du Japon. C’est magnifique!

Notre exploration se termine par Komorebi, une ferme reconstituée avec son moulin à eau pour égrainer le riz et ses modèles de cultures. Sheena me raconte que son père est agriculteur de la quinzième génération; elle a grandi parmi les champs de blé et les animaux de la ferme – elle est devenue citadine et garde la nostalgie des paysages de son enfance. Tout au long de la balade, j’ai reconnu plusieurs arbres, fleurs, plantes semblables à celles de chez moi et cela m’a fait plaisir de le partager avec Sheena. Ainsi je ne suis pas seule à me sentir bien dans la nature et cette sortie nous a rapprochées, nous a permis de mieux nous connaître.

Les business men japonais ne s’arrêtent jamais de travailler et c’est ainsi que Shin a organisé ce samedi un workshop où Yves est l’orateur invité. Je les rejoins à Minato en fin d’après-midi; tous sont très enthousiastes et je reconnais quelques visages rencontrés l’an dernier. Yves est impressionné par leur vivacité d’esprit, leur sens de créativité et d’innovation – les idées fusent et c’est à chaque fois des applaudissements, des félicitations et des « arigato » échangés haut et fort, en se levant!

Le souper clôture cette journée productive; le comité s’est restreint autour de Shin et Tobi, les organisateurs ainsi que Yukiko, de l’Université KIT et un autre juriste comme elle, venu expressément de Osaka. L’ambiance est chaleureuse et formidable, avec ce sentiment de nous connaître depuis longtemps et de partager le même enthousiasme pour le business, les voyages et la culture. Yukiko était en charge du choix du restaurant et elle a marqué des points! Le Chiriri nous propose une salle isolée pour nous six et en y pénétrant c’est la surprise d’une magnifique table déjà garnie pour le shabu shabu. La version japonaise de la fondue viande est un régal et le décor ici est original; sur des plaques chauffantes en milieu de table, dans un panier qui ressemble à de l’osier, une marmite en papier où bouillonne une eau pure qui va recevoir les légumes et la viande. Un bol de sauce soja améliorée de piquant et d’oignons rend à la viande une saveur dont on ne se lasse pas. L’utilisation des baguettes pour cuisiner et pour manger nous est de plus en plus aisée, si ce n’est pour les nouilles dans la soupe, qui terminent souvent le repas – il est préférable de ne pas porter une blouse blanche! L’équipe se disperse, avec des poignées de mains – sans doute à cause de nous – et avec l’espoir partagé de nous revoir en Suisse ou au Japon. Comme ils sont attachants ces japonais!
