Toronto compte plusieurs îles, un oasis de verdure et de tranquillité proche de la ville. Je m’embarque à bord d’une navette lacustre pour touristes qui traverse en dix minutes le petit port intérieur, m’éloignant ainsi de la vie trépidante pour rejoindre le calme. Je commence par la pointe Est, Ward’s Island, du croissant que forme ce chapelet d’îles; je croiserai très peu de monde au cours de ces heures de balade tranquille.
Certains propriétaires chanceux ont ici leur cottage, coquet, pittoresque, avec un jardinet fleuri méticuleusement soigné et la vue sur le lac Ontario tel une mer: 250 familles habiteraient ce coin de paradis. Ainsi je verrai une école et quelques véhicules de services mais surtout de nombreux petits ports avec quantité de bateaux de plaisance. Certains espaces sont eux tout à fait sauvages, parfois ressemblant à nos dunes du nord tandis que des parcs sont super bien entretenus, principalement sur l’île centrale qui est la plus fréquentée avec ses nombreuses attractions pour les familles. Ce serait un peu le Sentosa de Toronto et c’est ma chance de ne pas m’y trouver un jour d’affluence – ce doit être nettement moins paisible les week-ends ensoleillés.
Il y a quelques plages, désertes ce jour et une longue promenade aménagée sur un chemin de bois en bordure du lac; les mouettes me tournent autour, les oiseaux chantent, j’observe le vol en ligne des canards et cela me fait presque penser à mes balades délicieuses à Préverenges avec Cristina ou Régula au bord du Léman.
Soudain apparaît un ancien phare, presque caché au milieu des arbres; ce serait le plus ancien phare encore sur pied, des Grands Lacs, datant du début du dix-neuvième siècle pour guider les bateaux vers le port de York. Alors qu’à l’époque la plupart des constructions étaient en bois, ce phare fut monté en pierres provenant de la région de Niagara pour résister aux violentes tempêtes du lac. Le site est magnifique, inspire les artistes peintres certainement et ainsi un Lodge est ici pour les accueillir avec des espaces de travail, pour des stages ou des moments d’isolement.
J’ai marché cinq kilomètres pour atteindre Halan’s point, l’autre extrémité du croissant et juste derrière la clôture, le petit aéroport urbain Porter. Les oies se dandinent en bandes sur les pelouses – vive la semelle de mes chaussures ce soir – et traversent les rues sans se soucier des véhicules; elles s’octroient la priorité! Un monument célèbre un rameur d’aviron installé ici au bout de l’île qui prit son nom; Ned Hanlan remporta de nombreuses compétitions de par le monde. Je me retrouve ainsi proche à vol d’oiseau de la CN Tower et du Centre Rogers, tels qu’ils apparaissent sur les photos typiques de Toronto. Le vent a balayé les nuages, il fait tellement beau quand je décide de retraverser le bras d’eau, cette fois à bord d’un bac, en compagnie d’ouvriers qui rentrent chez eux après leur journée de travail.
Ma dernière visite mais pas la moindre, loin de là, sera la Art Gallery of Ontario, un musée extraordinaire qui a été rajeuni il y a cinq ans par une nouvelle façade de verre et de bois, fantastique, conçue par le célèbre architecte Frank Gehry, originaire de Toronto. Par cette structure transparente, il a voulu créer une relation entre les activités du musée et celles de la rue; c’est magique de se promener dans cette galerie au niveau deux qui surplombe le trottoir.
A l’arrière du bâtiment un escalier monumental en colimaçon, tout de bois, tel un serpent qui s’entortille, incrusté dans l’ancienne façade avant de sortir en extérieur. Woah, la vue vers la ville, surplombant Grange Park, vers le cube sur pilotis de OCAD est superbe; je suis fascinée par cette architecture mais aussi par les collections que je prends le temps de parcourir.
Mes deux premiers étages exposent des œuvres contemporaines; au niveau supérieur, des œuvres des cinquante dernières années où les artistes chacun à leur manière, explorent la notion d’espace, soit un lieu physique, soit un sondage de notre pensée comme une émotion, un souvenir ou un rêve. C’est grand, on se laisse emporter.
Ensuite je vais découvrir une forme d’art dont j’étais ignorante; ce sont différents box où au moyen d’installations média, le visiteur ressent des émotions, se laisse transporter dans des mondes tels que un opéra, un orage, un grenier flippant, un voyage en mer, une machine ancêtre de la chaise électrique … Ce sont Janet Cardiff et Georges Bures Miller, les pionniers de cette approche artistique particulière, qui au départ surprend – moi en tout cas – mais finalement me prend au cœur. Ce sera également Janet Cardiff qui met en espace une quarantaine de hauts-parleurs crachant les mélodies de huits chœurs à cinq voix chantant Spem in Alium, d’un compositeur de la Renaissance … je resterais scotchée là à écouter, tout en admirant autour de cette corole de voix, les sculptures de Henry Moore, artiste britannique, amoureux de Toronto qui légua une grande partie de ses œuvres au musée.
Le Groupe des Sept est pour moi aussi une découverte : des artistes qui en 1920, après avoir peint ensemble de nombreuses années, décident de former ce groupe, persuadés que le Canada devait définir sa voix artistique pour devenir une nation reconnue. Ils furent exposés de génération en génération dans ce Musée des beaux-arts de l’Ontario.
Sorel Etrog est lui un sculpteur très présent dans la ville; originaire d’une famille juive de Roumanie, il installe son atelier dans une ancienne fabrique d’habits à Toronto en 1963 et une dizaine de ses œuvres garnissent les espaces publics. J’aurais aimé avoir plus de temps pour m’intéresser à d’autres salles mais l’heure me pousse à renoncer. Je termine toutefois par la Grange, là où tout a commencé pour l’AGO; la maison familiale d’un ancien maire et membre du Parlement où artistes et intellectuels se sont réunis durant de nombreuses années. Sa veuve a légué la maison au début des années 1900 à ce qui est devenu la Art Gallery of Ontario; c’est la plus ancienne maison de briques de la ville. Depuis le parc Grange, cette demeure semble entourée d’un ciel bleu géant, la façade du Musée moderne.
Yves a lui passé une bonne journée de travail, son séminaire du soir a eu beaucoup de succès à la ISchool. Nous nous retrouvons à l’hôtel pour partir ensemble chercher l’avion qui nous ramène à Montréal. Alors là, c’est un record de rapidité et d’efficacité. Le taxi nous emmène au hall du Porter AirPort, là un bac nous fait traverser le petit canal et au guichet d’enregistrement de Air Canada Express, l’employé nous propose une place dans le vol une heure plus tôt que prévu, soit dans dix minutes. Un contrôle de sécurité rapide, pas de longs corridors, nous montons à bord d’un avion Bombardier à hélices, qui va décoller trente minutes après notre départ de l’hôtel. Peu de passagers, un snack et une boisson, presque comme un jet privé et nous nous envolons par-dessus les îles où je laisse mes doux souvenirs de Toronto.