Me voici replongée dans l’histoire du début de la colonie en allant visiter la Maison Saint-Gabriel située sur une bande de terre appelée la Pointe-St-Charles, de l’autre côté du Canal de Lachine.
Dans les années 1660, la colonie française peine à se développer; normal, on compte seulement soixante-cinq filles célibataires pour sept-cents hommes. Le roi Louis XIV fournit alors la dot et le voyage à de jeunes orphelines désireuses de partir s’établir en Nouvelle-France. Le premier navire de la flotte royale, l‘Aigle d’Or, quitte le port de La Rochelle en 1663 en direction de Québec avec à son bord les premières jeunes françaises venues ‘prendre mari’. Après trois mois de traversée, elles sont accueillies par une religieuse du couvent des Ursulines, elles sont trente-six et vont être formées à leur nouvelle vie d’épouse et de femme de la terre.
Certaines poursuivent jusque Trois-Rivières et d’autres viennent à Montréal, Ville Marie encore à l’époque. Ici c’est Marguerite Bourgeoys qui les prend en charge dans sa métairie, la Maison Saint-Gabriel que je visite ce jour. Sur une dizaine d’années, huit-cents ‘Filles du Roy’ arriveront en Nouvelle France; c’est à elles que la colonie française doit sa survie. Les prétendants leur sont présentés, toujours sous surveillance des religieuses, les mariages et les naissances s’en suivront très rapidement – la colonie aura triplé en 1700.
Marguerite Bourgeoys, née en 1620 à Troyes, débarque à Ville Marie en 1653 à la demande du Sieur de Maisonneuve, Paul de Chomedey, pour assurer une instruction digne de ce nom. Elle souhaite de suite fonder une communauté de religieuses, canadiennes et amérindiennes, non cloîtrées pour accomplir leur mission d’éducation en Nouvelle France. Pour cela, le roi Louis XIV exige quelle ne soit à charge de personne; en 1662 le Sieur de Maisonneuve lui accorde une terre à défricher, les religieuses s’organisent, font bâtir une métairie et deviennent ainsi autonomes. En 1668 Marguerite Bourgeoys devient propriétaire de la Maison Saint-Gabriel, c’est la première ferme de la Congrégation de Notre-Dame et elle y ouvre son école pour les jeunes des colons mais aussi les amérindiens. C’est donc ici qu’elle accueillit les ‘Filles du Roy’, dont une cinquantaine résideront à la métairie. La fondatrice de la Congrégation de Notre-Dame, pionnière de l’enseignement au Québec s’est éteinte en 1700 alors qu’elle allait avoir huitante ans.
La Pointe-Saint-Charles est un très ancien quartier de Montréal, où les congrégations religieuses établirent leurs fermes, principalement celles des Sulpiciens et celle des religieuses Notre-Dame qui y logeront pendant trois-cents ans, exploitant les terres pour nourrir la communauté et dont l’exploitation se poursuivra jusque dans les années 1950. On fête en 2013 les trois-cent-cinquante ans de l’arrivée des ‘Filles du Roy’ à la Pointe-Saint-Charles.
La maison Saint-Gabriel, classée site historique, est un dernier témoin de la vie rurale de cette Pointe-Saint-Charles, lotie entre le Canal de Lachine et le Saint-Laurent. Cette maison de ferme avec sa maçonnerie de moellons, son toit pentu et sa charpente de bois est typique de l’architecture traditionnelle sous le Régime Français. La ferme sera ravagée par un incendie en 1693 – seules la laiterie et les caves subsisteront – et rebâtie cinq ans plus tard. Jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle, leur maison se trouve en bordure du fleuve, juste face à l’île des Sœurs – autrefois appelée île St Paul – et on raconte qu’elles communiquaient entre elles à l’aide d’un énorme porte-voix.
La période d’industrialisation voit l’arrivée du chemin de fer et des usines qui s’échelonnent le long du Canal de Lachine. Les rives du St Laurent s’éloignent, on remblaie pour construire des digues anti-inondations, la ligne du chemin de fer en 1886 et plus tard au vingtième siècle l’autoroute Bonaventure. Les grandes fermes sont alors morcelées et vendues pour construire des logements aux ouvriers venant travailler dans les usines et à la Compagnie du Grand Tronc. Les communautés francophones et anglophones, catholiques et protestantes cohabitent ainsi dans ce quartier devenu ouvrier.
Devant la maison, l’étrange montage en bois s’appelle une ‘Croix de Chemin’. Typique en Nouvelle France, elle est érigée pour signifier une prise de possession et la foi des habitants. Celle-ci date de 1818, elle rappelle la passion du Christ et les religieuses l’ont élevée suite à des inondations freinées par leurs prières. La grange date du milieu du dix-neuvième et comporte trois parties: une écurie, une zone pour battre les céréales et une pour ranger les instruments et les outils.
Une visite guidée, de la cave au grenier, nous plonge dans la vie quotidienne des siècles passés alors que le temps était rythmé par les saisons. La salle de réception, la cuisine, le dortoir des hommes de maison, celui des religieuses qui servait de salle de classe le jour, la chapelle, la cave … nous racontent les détails d’une époque plus rude, que nous avons vite tendance à oublier. Ce qui me reste en tête : les moules à étain pour se faire les assiettes, l’évier de pierre énorme et superbe dont on récupère l’eau par un écoulement extérieur pour nourrir le bétail, les murs épais de 1,80 mètre au niveau des fondations – épais pour soutenir la bâtisse mais aussi pour y laisser des niches qui servent de garde-manger, le joug et les seaux pour aller chercher l’eau à la rivière et cette même rivière sciée en hiver pour obtenir des blocs de glace, ancêtres du frigo, le coin chaud à l’étage sous la cheminée pour y secourir les petits animaux blessés.
La production issue des cultures de pommes-de-terre, carottes, navets, choux, poireaux suffisait non seulement à la communauté mais était aussi vendue aux habitants. Dans les prairies, des chevaux pour les travaux dans les champs, des cochons pour la nourriture et des moutons pour la laine. Ces animaux n’existaient pas en Amérique du Nord, ils sont venus d’Europe avec les colons.
Ma bavardise n’est que le reflet du plaisir que j’ai pris à cette visite fascinante. Je m’en retourne vers la ville jusque Square Victoria avec l’intention de rester plongée dans l’histoire. La place d’Youville est le point de départ de la ville, et aussi de son développement; on y trouve encore la bâtisse des douanes, de la Compagnie de chemin de fer du Grand Tronc, de l’administration du port; des ruelles de maisons basses en pierres où se sont installés bureaux et restaurants, ou transformées en condos qui doivent être prisés – la cour du Gibby’s sera à essayer je pense.
Le temps est très clair aujourd’hui pour voir nettement les fameux ‘Habitat 67‘, ces logements gris originaux, comme des cubes entassés en quinconce, oeuvre de l’architecte Moshe Safdie. Cette réalisation lui vaudra une notoriété mondiale et c’est à lui également que l’on doit le fabuleux Marina Bay Sands et le ArtScience Museum en fleur de lotus, de Singapour. Il est né à Haifa, est arrivé au Canada avec sa famille à l’âge de quinze ans et a étudié à l’Université McGill. Et dans le port de Montréal, avant l’embouchure du Canal, le spa sur l’eau Bota Bota me fait envie, on y voit les gens en peignoirs blancs se prélasser près des bassins et des jacuzzis!
Installé dans une ancienne caserne datant de 1904 et construite par les architectes Perrault et Lesage, le Centre d’Histoire de Montréal trône au centre d’une place publique et il porte bien son nom. J’ai encore un peu de courage pour m’y promener les quarante-cinq minutes qui restent avant la fermeture. Au deuxième étage une exposition dévoile les aspects méconnus de la Montagne, ce qu’elle était avec sa faune et sa flore, l’histoire de la création des cimetières et aussi l’implantation de l’Université de Montréal, de l’Oratoire et d’autres collèges … cette montagne qui a séduit Jacques Cartier quand il a mis pied à terre ici.
La seconde exposition, moins joyeuse, relate la destinée de trois quartiers de Montréal, Red Light, Goose Village et Faubourg m’lasse, qui ont été rayés du panorama dans les années 1950-1970 pour ériger de grands projets, stade, parking, radio-Canada, immeuble Jeanne Mance. La population de l’époque aurait été mal et tardivement informée et la rancœur subsiste; des pages d’histoire qui portent à réflexion. Le rez-de-chaussée expose de manière structurée dans le temps, imagée avec photos, films et objets, les grandes étapes du développement de la ville depuis les années 1535. La lecture des documents doit être passionnante; peut-être aurai-je le temps une autre fois, cet été ou dans le futur.
C’est par le dédale des souterrains, passants par les commerces et les hôtels, les longs corridors que je rejoins la Place des Arts où je retrouve Yves. Une table haute nous attend au restaurant Place Deschamps dans un décor fort agréable – réalisé par le bureau d’Alain – les mini burgers au homard sont un régal et nous découvrons les délicieux chocolats de Geneviève Grandbois.
Le beau temps est de la partie, une toute autre ambiance anime le vingt-cinquième Festival des FrancoFolies. Tout d’abord nous vibrons sous les voix puissantes et chaudes d’une dizaine d’artistes qui nous interprètent Jacques Brel, notre Jacques du plat pays. La salle est comble, le public applaudit avec enthousiasme – Jacques Brel aimait beaucoup le Québec – mais c’est motus pendant les chansons; ceux qui le connaissent bien peuvent imaginer le sacrifice de Yves à devoir se taire lui aussi! Un beau moment de souvenir et d’émotion.
Les scènes extérieures font elles se déhancher et crier les spectateurs – ça déménage – et ici nous pouvons nous défouler, même sans connaître les artistes; les installations sono et vidéo sont excellentes, l’ambiance est sage et ‘cool‘. Les grands sponsors sont Bell et Ford et nous découvrons le tout nouveau modèle de notre Ford Fusion du week-end dernier – ‘elle a l’avant d’une jaguar‘, dit un jeune homme!
Chouette festival … on y reviendrait bien demain!