C’est le grand jour pour Alain et vu qu’il est plutôt du style quart-d’heure vaudois en avance qu’en retard, nous sommes dans les starting-block à 8h45. Pas besoin de regarder par la fenêtre, nous entendons arriver la Austin Healey, les freins ne sont pas encore chauds. Les quatre enfants que nous sommes, sont tout excités pour leur aventure du week-end en Charlevoix – si on y arrive -, comme pour une excursion scolaire! Je suis à l’unanimité désignée reporter pour les quatre jours, moi qui pensais être en vacances. La météo est moins souriante ce matin, Martine a emporté des plastics pour parer aux fuites.
Nous suivons la vedette du voyage, avec l’Audi de nos amis et c’est parti, direction Québec par la 40 Est. Les villages de la région portent des noms vraiment très religieux et drôles; c’est une chance que nous habitions Lonay, cela aurait pu être Assomption, Épiphanie, Grand-Mère, Sainte-Philomène, Saint-Ignace-de-Loyola – les Jésuites sont aussi venus par ici – et j’en passe.
Cette première partie du voyage se passe sous une pluie battante, ce qui rend la conduite assez fatigante pour Alain. Petite pause donc après une bonne heure de route pour un café. Mademoiselle Titine – c’est ainsi que nous la baptiserons après moulte réflexions – a pourtant bien dû connaître la pluie dans son pays d’origine, l’Angleterre mais Alain craint par exemple pour le moteur des essuie-glaces; ainsi il l’économise et c’est souvent le brouillard sur leur pare-brise – je comprends mieux pourquoi leur conduite n’est pas vraiment rectiligne! C’est assez bruyant entre le moteur, la pluie, etc et ils doivent parler fort pour se comprendre alors que l’habitacle semble minuscule. Alain s’enquiert auprès de Yves de la vitesse que l’on tient, ses compteurs n’étant pas très précis. Titine date de 1965, elle est donc la plus jeune de nous tous, elle a été construite pour le marché allemand mais a surtout vécu aux US et au Canada. Alain l’a achetée à son quatrième propriétaire, il y a deux ans mais c’est le premier grand déplacement qu’elle va effectuer depuis cette acquisition et c’est la raison de notre présence comme équipe de sauvetage – et de soutien moral ! Le week-end dernier, elle s’est montrée très capricieuse et il a fallu changer batterie, génératrice et le starter qui était d’origine, comme de nombreuses autres pièces du moteur, aie aie … Nous sommes vaguement rassurés d’apprendre qu’ils ont contracté une assurance ‘dépannage-rapatriement’. Un petit bisou d’encouragement d’Alain à son bijou et c’est reparti.
Nous longeons le Saint-Laurent sur la rive gauche, juste séparés par des marais et ensuite le lac Saint-Pierre, un de ces élargissements du fleuve. Trois-Rivières est bien connu au Québec pour son université et c’est également un nom de ville dans les romans de Marie Laberge. Ici le fleuve se rétrécit et un pont permettrait de passer sur l’autre rive; à quelques autres endroits, nous avons vu l’indication d’un bac de traversée mais ce n’est pas si fréquent, il s’agit de bien repérer son itinéraire.
Alors que la pluie a cessé, Alain quitte l’autoroute à Sainte-Geneviève-de-Batiscan pour une route plus exotique, ‘Le Chemin du Roy’. La plus vieille route d’Amérique du Nord (route 138) permet d’apprécier un paysage de campagne, très vert, de superbes fermes, des maisons en bois comme on les aime et qui nous font penser à des décors de films, des églises au toit d’argent qui brille; nous traversons même un pont dont le revêtement est en fer, broum broum broum.
Il est temps de donner à boire à Titine, la jauge n’est pas très fiable mais le comble bien sûr, c’est ‘notre’ Audi toute récente qui affiche une alerte pour le liquide de refroidissement! Martine, as-tu également une assurance dépannage pour l’Audi?
Sainte-Anne-de-la-Pérade – toujours des noms de localités simples et brefs – est réputée pour la pêche sur la rivière gelée; on y pêche les petits poissons des chenaux, de réputation mondiale. De Noël à la mi-février, la rivière Sainte-Anne devient un village de cabanons et cette tradition remonte à une époque bien plus ancienne que l’arrivée des Européens.
Soudain Alain vire sur la gauche, comme nous il a aperçu une jolie bâtisse en contrebas. C’est le Moulin de La Chevrotière, moulin à farine d’inspiration française, qui date du début du dix-neuvième siècle et fut restauré dans les années 1970. Quelques maisons du patrimoine sont encore bien conservées, ce petit hameau nous laisse imaginer l’époque des Seigneurs – y avait-il déjà ces beaux coquelicots que j’admire dans les jardins ? Le pont qui enjambe la rivière fut détruit par une crue en 2005 et la municipalité a demandé à l’artiste Florent Cousineau de le rebâtir tout en y intégrant une œuvre d’art. Le résultat est superbe, avec comme palissade au pont de bois, des tubes d’aluminium qui selon son réalisateur, évoquent ‘le souffle d’un vent léger sur un champ de blé’. Au jour tombant, un éclairage lui donne, semble-t-il, un effet magique. Ainsi il a également fait travailler une usine locale, Alcoa, l’Aluminerie qui a confectionné ces tuyaux.
Alain doit trouver qu’on se traîne sur cette route touristique et il nous reste encore des kilomètres; il remonte sur la voie plus rapide. Le ciel devient bleu pour notre plus grand plaisir, le soleil va nous accueillir pour notre arrivée à Québec. Quand je regarde la carte de cette région nord, il y a tellement plus de lacs et de rivières que de routes, c’est incroyable! Ce n’est pas étonnant que 80% de la population canadienne habitent à moins de cent kilomètres de la frontière américaine; un long bandeau horizontal et plus au nord, c’est le désert humain.
La ville approche, les buildings et les usines remplacent le paysage montagneux; Alain sent le but et se met à accélérer alors que la circulation se densifie. Il s’agit de le suivre de près, de ne pas le perdre de vue, il est si petit que si une voiture se glisse entre nous, c’est foutu, on n’aperçoit plus Titine. Et il ne faut pas compter non plus sur son signofil, il est minuscule et pas souvent utilisé; Alain souvent hésite et braque en dernière minute pour changer de direction … Nous sortons à Sainte-Foy; petite particularité du Canada : les numéros de sortie correspondent au kilométrage, ce qui est bien utile.
Il est 13h30 quand nous nous garons devant le Cofortel. La petite histoire veut que nous soyons ici car c’est un ancien Confort Hôtel qui a été rénové et Alain fait le même travail pour un établissement à Val d’Or. Le motel est donc tout neuf, et même pas complètement achevé, et il sera parfait pour la nuit. C’est quand même la première fois que Yves signe une décharge comme quoi nous ne fumerons pas dans la chambre.
La brave demoiselle a bien mérité le repos, nous repartons tous ensemble avec l’autre voiture vers la ville de Québec.
Les émotions, ça creuse; l’entrecôte Saint-Jean est la bienvenue! Avant, nous sommes juste entrés dans le Palais Montcalm, inauguré après rénovation en 2007 et dont Maia nous a conseillé la salle Raoul-Jobin connue comme une des dix meilleures au monde pour son acoustique extraordinaire. Un spectacle de Pierre Richard est en cours et malgré tout son charme et son insistance, Alain ne parvient pas à nous y laisser pointer un œil. La salle porte le nom d’un grand ténor de l’art lyrique, qui y chanta souvent en soliste notamment à l’inauguration de l’édifice en 1932. Nous n’aurons pas la chance de nous laisser bercer par ‘Les Violons du Roy’, une autre fois peut-être.
La porte Saint-Jean sur les remparts du Vieux Québec nous amène dans une rue piétonne sympathique avec boutiques, galeries et restaurants, aux façades et aux toitures joliment entretenues. Québec est l’une des rares cités fortifiées en Amérique du Nord, remparts qu’elle a su sauver et valoriser. La Place de l’hôtel de ville est animée, autour d’un artiste de rue et trône ici la Basilique-Cathédrale Notre-Dame de Québec, la première paroisse catholique et la première cathédrale au Canada; une façade asymétrique comme c’est souvent le cas et un décor intérieur très en dorures. Construite ici en 1647, elle subit un incendie à trois reprises dans son histoire et chaque fois fut reconstruite selon les plans d’origine.
Je me hâte à suivre mes trois compères qui ne me laissent pas toujours le temps pour toutes les photos que j’aimerais, ni le temps de lire toutes les explications. Nous atteignons l’Hôtel du Gouvernement de la Province du Bas-Canada, où fut établi le premier brevet d’invention canadien; il s’agissait d’un moulin à foulon, moulin à eau destiné à fouler les étoffes, remplaçant probablement le foulage aux pieds. La vue débouche alors magnifique, sur le Saint-Laurent; à quai un énorme paquebot de croisière – qui me fait bien envie évidement -, des voiliers et des bateaux mouche au large, sous la surveillance des garde-côtes mais les gros porte-containers passent de l’autre côté de l‘île d’Orléans. La rue Saint-Louis et l’escalier Petit Champlain nous amènent dans la basse ville, beaucoup de maisons classées; ici aussi des boutiques, des galeries pour touristes, des couleurs, des fleurs, des devantures originales dans le Petit Champlain.
Nous arrivons à la Place Royale, riche en histoire. En son centre un buste du Roi Louis XIV; après avoir été érigé ici même, les marchands l’auraient enlevé car il gênait la circulation des calèches et plus tard ce sont les taxis qui suppriment une des copies envoyée par la France avant que finalement la place devienne piétonne, site historique.
C’est ici sur cette place que Samuel de Champlain fonde la ville de Québec, à un emplacement stratégique fréquenté par les Amérindiens depuis trois milliers d’années. Il établit le Comptoir du Québec en juillet 1608, tout d’abord des maisons en bois pour la traite des fourrures, qui seront reconstruites en pierre peu après mais fin du dix-septième siècle, le feu détruit la place et c’est l’église Notre-Dame-des-Victoires qui s’érige à l’endroit du premier comptoir français.
C’est en fait Jacques Cartier qui posa le premier son pied en 1534, dans ce village Iroquois qui deviendra Québec mais il ne parvint pas à combatte l’hostilité de ce peuple amérindien et c’est Samuel de Champlain qui a repris le flambeau au début du dix-septième, alors que les Iroquois avaient migré plus au sud. C’est de la langue d’une tribu amérindienne, que le nom de Québec est probablement né; kebek signifiait ‘là où la rivière se rétrécit‘ chez les Algonquins. Québec est nommée capitale de la Nouvelle-France en 1663, ce qui ne durera qu’un siècle.
Les dangers de l’époque étaient les guerres, les épidémies et le feu; ainsi ils utilisèrent diverses techniques pour éviter les incendies, tels des murs coupe-feu entre les maisons ou ce toit de planches de bois rouge censées ne pas s’envoler en cas d’incendie, contrairement aux bardeaux de cèdre. Les toits d’ardoise ou de métal étaient eux réservés aux riches commerçants car l’importation depuis l’Europe coûtait cher. De nombreux toits argentés persistent encore sur les toitures des églises et des habitations.
De la Place Royale nous nous dirigeons vers le Musée de la Civilisation, énorme bâtiment où l’ancien et le moderne se mêlent, avant de pénétrer dans l‘hôtel Germain Dominium, du même groupe que celui que nous avons beaucoup aimé à Toronto. Et il se fait que Alain connaît Madame Germain; il nous relate aussi l’existence des Alt hôtels, un peu moins ’boutique’ mais aussi très design.
Au bord du quai, nous sommes si petits devant ce bateau de croisière et ensuite nous retrouvons les boutiques du Petit Champlain où Martine essaie quelques toques en fourrure pour les hivers rigoureux. Alain renonce aux escaliers, les plus anciens de Québec, appelés l‘escalier Casse-Cou et choisit plutôt le funiculaire – de marque suisse Otis – pour rejoindre le Château Frontenac.
A l’arrivée un monument à la mémoire de Champlain accueille les visiteurs; né au sud-ouest de la France vers 1567, il servit sous l’armée de Henri IV, il explora les Indes occidentales, l’Acadie et découvrit les régions des Grands-Lacs. Gouverneur de la Nouvelle-France, il meurt à Québec en 1635.
Mais le plus spectaculaire sur les hauteurs du Cap Diamant, c’est le Château Frontenac, le symbole de Québec. Cet édifice est un exemple des hôtels style château qui faisait partie des haltes de luxe du réseau de chemin de fer Canadien Pacifique qui reliait Halifax à Vancouver. Il fut dessiné par l’architecte new-yorkais Bruce Price, terminé en 1893 et porte le nom d’un gouverneur célèbre de Nouvelle-France, le comte de Frontenac.
Cette imposante silhouette a accueilli des célébrités comme Edith Piaf, Charles de Gaulle, Winston Churchill et Alfred Hitchcock qui l’utilisa comme décor pour son film ‘La Loi du Silence’; plus récemment la visite de Kate et William de la cour d’Angleterre fut sujet à polémique, dû aux relations complexes avec l’Angleterre.
Ses façades sont en briques de différentes couleurs, qui proviennent d’Ecosse et servaient pour lester les navires anglais partant à vide d’Europe pour venir chercher du bois et des fourrures. Ses tours et tourelles donnent beaucoup de majesté à l’ensemble, elles sont recouvertes tout comme la toiture, de cuivre vert-de-gris, toitures souvent retrouvées sur les hôtels de ce type à travers le Canada.
Pour fêter les trois-cent-cinquante ans de Québec, le Gouvernement Fédéral a fait construire une longue promenade de 655 mètres, avec plus de 300 marches d’escalier qui longe le cap Diamant et offre un super point de vue sur le Saint-Laurent et la région. En hiver elle se transforme en patinoire et pistes de luge.
Elle mène aux Plaines d’Abraham qui furent le lieu des fameuses batailles de 1759 entre la colonie française et la flotte anglaise menée par James Wolfe. La bataille fut de courte durée; pourtant bien protégés dans leur Fort, les français se sont laissés prendre, surpris par les anglais qui escaladèrent les falaises. Le général français Montcalm et le général anglais Wolfe trouvèrent tous deux la mort au cours de cette bataille. En 1763 le Canada est attribué à la Grande-Bretagne par le traité de Paris, ainsi s’est brisé le rêve des colons français.
Ces plaines d’Abraham portent le nom d’un homme arrivé en Nouvelle France en 1620 et qui fit paître son troupeau sur des terres appartenant aux Ursulines. Le Fort est bien caché à la pointe de ces plaines que nous traversons comme des pâturages. C’est ici que se monte une scène énorme pour les fêtes de la Saint-Jean-Baptiste, fête nationale du Québec célébrée le 24 juin et depuis longtemps fête du solstice d’été avec les feux de la Saint-Jean.
Nous atteignons ensuite l‘Hôtel du Parlement, bâtiment superbe, inspiré de l’architecture du Louvre par Eugène-Étienne Tâché dans les années 1877-1886. Sa façade est consacrée aux personnages ayant marqué l’histoire du Québec, qu’ils soient français ou anglais; vingt-quatre statues de bronze rendent hommage à ces héros. Le bâtiment de l’Assemblée Nationale est entouré de magnifiques jardins, aménagés depuis 1986 par des étudiants de l’Université de Laval qui s’initient à l’horticulture ornementale. On trouve ainsi non seulement des arbres et arbustes du Québec mais aussi des potagers, des petits-fruits, des plantes aromatiques, dans des bacs en bois élevés.
Des jolies sculptures ornent le parc, j’y retrouve Louis-Hippolyte La Fontaine, célèbre homme politique du dix-neuvième siècle, premier chef de gouvernement élu démocratiquement à travers le monde colonial – serait-il un de mes ascendants? – , un empilement de pierres inukshuk et la statue de René Lévesque, journaliste, animateur média, député et ministre, fervent défenseur de l’indépendance. Il fut premier ministre de 1976 à 1985 et s’est éteint à Verdun sur l’île des Sœurs.
Après avoir traversé un petit cimetière malfamé, nous prenons un petit apéro sur une petite terrasse, le temps de retracer notre beau parcours de la ville et de réfléchir à un bel endroit pour le repas du soir. Alain nous emmène au Capitole, ancien cinéma rénové il y a vingt ans en un hôtel – théâtre – restaurant, trois en un! Un menu italien d’excellente qualité, un petit coin au calme rien que pour nous, une ambiance très joyeuse en cette fin de première journée d’aventure!