C’est l’histoire du moine Eisai, formé dans un monastère à Kyoto au 12ième siècle, qui après un séjour en Chine rapporte la notion du bouddhisme zen; celle-ci enseigne la méditation sans objet, la pensée sans pensée par un travail sur la posture et la respiration. Il n’est toutefois pas bien accueilli dans son propre monastère à son retour et s’exile à Kamakura – capitale du Japon à l’époque – où avec le soutien du shogun au pouvoir, il crée son école et construit le temple Jufuku-ji. La secte zen Rinzai est ainsi née, elle devient populaire auprès des samouraïs et des nobles et va prospérer avec l’aide du shogunat. Dans cette école, l’enseignement se transmet de maître à disciple et non plus via les sutras écrits.
Kamakura a connu une belle expansion culturelle et religieuse à cette époque féodale, elle fut assez bien épargnée par les tremblements de terre et les bombardements de 1945 et c’est ainsi qu’aujourd’hui elle conserve le charme d’une bourgade traditionnelle. Elle se situe à 50 kilomètres au sud de Tokyo, proche de la mer et est pour les tokyoïtes une destination de week-end (Kato nous dira d’ailleurs qu’elle y a sa résidence secondaire).
Nous ne sommes donc pas seuls à débarquer à la première gare de Kita-Kamakoura. La ville compte encore 65 temples bouddhistes et 19 sanctuaires shintoïstes! Incroyable! Oh non, me dit Yves, tu ne vas pas nous les faire visiter tous … Nous avons ici l’impression de nous retrouver avec Tadashi, visitant les temples de Kyoto l’an dernier. Un temple n’est pas comme chez nous simplement un lieu de culte, c’est tout un ensemble de bâtiments – certains au toit de chaume -, des pavillons pour la méditation, pour le repos des moines, pour les offrandes, les prières. On y retrouve toujours une ou plusieurs portes souvent joliment sculptées, le bassin pour se purifier le corps, l’encens pour l’esprit, une cloche de bronze parfois énorme.
Le premier temple que nous visitons, Engaku-ji, nous séduit de suite; il semble accroché harmonieusement à la montagne, entouré de cèdres centenaires. Il est sobre dans ses couleurs naturelles, avec un léger mélange de style chinois et de pureté zen; il appartient toujours à l’école Rinzai. Il fut construit fin du treizième siècle, en l’honneur des morts des deux camps suite aux batailles sanglantes contre la Mongolie qui tentait d’envahir le Japon. Deux de ses éléments sont classés Trésor Nationaux : la cloche de bronze sur la colline,qui date de 1301 ainsi que le pavillon des reliques qui abriterait une dent de Bouddha. Dans un premier pavillon, nous observons des gens qui s’entraînent au tir à l’arc, revêtus de la longue jupe noire des arts martiaux.
Quelques centaines de mètres plus loin, suivant la colonne des visiteurs, nous pénétrons dans le domaine du Temple Kencho-ji, dont la première porte faisait partie à l’origine d’un temple de Kyoto et fut déplacée ici. Ce temple est classé premier des temples zen de Kamakura, il fut construit pendant l’ère Kencho (1253) dont il porte le nom. Le fondateur est un maître zen chinois, venu d’abord à Kyoto avant de rejoindre Kamakura. Il fut le premier de la secte zen à recevoir un titre honorifique après sa mort, décerné par l’empereur lui-même. La place est animée ce jour, avec de nombreuses échoppes vendant souvenirs et nourriture et des récoltes de fonds en commémoration du troisième anniversaire de la tragédie de Fukushima – l’exposition de photos fait froid dans le dos. Avant de quitter, nous écoutons un instant un moine racontant une histoire à des visiteurs qui lui sont tout ouïe.
Nous poursuivons avec le sanctuaire Tsurugaoka Hachiman-gū où l’on accède de tous les points cardinaux par un superbe Torii rouge. Fondé en 1063, il est dédié à Hachiman, dieu de la guerre; l’ensemble est vaste, sur un terrain en pente, avec des étangs qui symbolisaient à l’époque la supériorité d’un clan des guerriers, les Minamoto sur leurs adversaires, les Taira. Les tonneaux de saké, les portiques avec messages en papier enroulé, les Ema en bois avec les vœux ou remerciements au Bouddha, les offrandes, les pièces de monnaies jetées dans des coffres de bois sont tous ces éléments et rites qui nous ont été racontés par nos guides Benoit et Tadashi. Nous avons la chance d’admirer deux couples de mariés, soigneusement parés, sans que ce soit purement le costume traditionnel avec la haute coiffe blanche pour la mariée. Ce sanctuaire est le symbole de cette ancienne capitale et voit défiler 9 millions de visiteurs par an!
La rue commerçante reliant le sanctuaire au quartier et la gare principale de Kamakura s’aligne toute droite avec en son centre une superbe allée piétonne bordée de cerisiers … pas encore en fleurs … Après une pause lunch bien méritée, dans un petit restaurant typique au décor en bois et aux menus alléchants (dans l’assiette car la carte n’est pas très compréhensible), arrosés de saké – on s’y fait finalement très bien – nous abordons le programme de l’après-midi.
Devant une multitude de bus à la gare, Yves se sent bien de monter dans le premier qui se présente à nous; rien n’est indiqué en anglais mais il a vu la tête de Bouddha sur l’enseigne et c’est en effet Daibutsu, notre point de chute suivant.
Elle est drôlement belle et imposante cette statue de Bouddha, en plaques de bronze sur une structure creuse, haute de plus de 11 mètres et pesant 122 tonnes. Amida, bouddha de la lumière éternelle, est assis en position de lotus avec les mains qui se joignent par les pouces et la deuxième phalange des index. Ce serait la plus belle représentation de bouddha au Japon; son commanditaire, le shogun Minamoto, voulait par là surpasser le Bouddha de Nara.
Et je parviens encore à tirer Yves jusqu’au temple Hasadera qui vaut en effet le détour – également accroché sur la colline, avec un superbe jardin où les fleurs des cerisiers commencent à nous sourire. Sur les hauteurs, la vue est plongeante sur la baie avec ses plages et ses surfeurs. Le cade est superbe, l’architecture recherchée et harmonieuse dans un décor naturel où des jardins fleuris doivent être de toute beauté durant l’été. Ici c’est une statue en bois recouverte d’or, de 9 mètres de haut, devant laquelle les fidèles viennent s’incliner, celle de Hase Kannon avec ses 11 têtes par-dessus la principale, chacune avec des directions et expressions différentes, signifiant que la divinité est à l’écoute des vœux de toute personne qui soit. Kannon est parfois appelée la déesse de la miséricorde.
Voilà un joli aperçu d’une petite localité où le temps s’arrête alors que nous nous baladons d’un temple à un autre; il règne dans ces espaces un air de sérénité, de paix. Nous rentrons à pied vers la gare, observant alors quelques détails de façades, de voitures – beau modèle Honda -, de coutumes – le soleil est là, les jolis parapluies aussi! Et nous prenons un goûter dans un petit bistrot qui fait aussi fleuriste.
Pour le trajet de retour, nous sommes fiers d’être parvenus à réserver sur des machines automatiques, des places en ‘green car’ (première classe), qui se sont inscrites sur nos cartes Suica. Celle-ci, nous la présentons au lecteur au-dessus de nos sièges dans le train, le voyant lumineux devient vert et ainsi la contrôleuse sait que tout est payé en ordre … full automatique, magique! C’est parfois un peu surprenant leur choix des couleurs : ici une place libre est signalée d’un voyant rouge, il en est de même pour un taxi libre et cela passe au vert quand c’est occupé. Par contre pour les feux de circulation, c’est bien comme chez nous.
Certaines lectrices de mon blog ont trouvé que parfois je parle beaucoup, voire trop, des repas … Nicole, elle, me réclame des photos de nos assiettes … mais ce ne sont jamais des assiettes seules, plutôt plusieurs petits plats, bols, tous différents et colorés qui composent notre menu …