Il est 7 heures, il fait nuit quand le mini-bus de AndoAndes vient me chercher à l’hôtel pour une journée extraordinaire. Roberto est un chauffeur habitué aux routes de montagnes depuis 20 ans et Gonzalo, notre guide aux rastas qui émergent de la casquette, a fait des études en géo-sciences et éco-tourisme – avec les six autres touristes, nous devons nous sentir en de bonnes mains pour cette expédition. La circulation est dense de bon matin pour parcourir la métropole, je me reconnais assez bien et il est pratiquement 8h30 lorsque le véhicule est au complet, a chargé ses victuailles, le matériel et s’élance sur l’autoroute en direction du sud-est vers la vallée de Maipo.
À la périphérie extrême de Santiago, dans l’arrondissement de Puente Alto, Gonzalo nous annonce le « dernier arrêt pipi de la journée » !! … là où l’on va, ce sera seulement la nature. Le groupe commence à se réveiller et à échanger, on fait connaissance – il fait super beau, le jour idéal pour notre excursion. Après une heure de route, nous nous arrêtons à San José de Maipo, une petite localité où la vie semble ne pas s’être modernisée à outrance. Le guide en profite pour nous donner un petit cours d’histoire devant la statue de Ambrosio O’Higgins, un général irlandais du 18ème siècle, qui a servi pour l’empire espagnol comme gouverneur au Chili et qui a oeuvré pour protéger cependant les populations natives – ce sera à peu près le seul élément historique de la journée, notre Gonzalo est bien plus préoccupé par la faune, la flore, les écosystèmes.
Il nous montre ici la différence entre les arbres originaires de cette région à 1’000 mètres d’altitude et les arbres qui furent implantés d’Europe ou des Etats-Unis, comme le pin ou l’eucalyptus. Pour lui, c’est un danger de vouloir modifier la végétation naturelle d’une région. À Santiago, tous les parcs et même les fameux « cello » n’ont plus rien de la végétation chilienne native et c’est pourquoi il faut tant arroser. Dans cette partie de l’Amérique du Sud, les arbres (dont celui dont j’ai oublié le nom, avec lequel on fabrique du savon) sont épineux avec des grosses feuilles grasses qui conservent l’humidité pour survivre aux sécheresses. Il peut se passer 7 mois sans pluie ici pendant l’été de octobre à avril.
Autour de San José de Maipo, la population ne vit plus comme par le passé des mines d’argent mais de l’élevage de chèvres, de poules – en pleine liberté bien évidemment – et de la culture d’olives, de fruits secs – une vie simple, saine et tranquille. Ils craignent et subissent quand même souvent des feux de forêt déclenchés par négligence humaine (cigarette, barbecue, …); nous verrons sur le parcours des pans de montagnes brûlés et il est vrai que seuls les cactus semblent avoir mieux résisté ou mieux repris vie.
On ne craint plus les gens dans ces contrées éloignées, ni même les animaux (les seuls décès importants dus aux animaux proviennent de piqures d’une petite araignée … que l’on trouve surtout dans les maisons mal entretenues de Santiago !) mais c’est la nature qui peut causer des ravages. La semaine dernière un gros courant pluvieux chaud venu de l’Atlantique a buté contre la Cordillère des Andes et par malchance s’est abattu sur les hauteurs de cette vallée de Maipo. L’eau est tombée à 4’000 mètres d’altitude où le sol peut absorber de la neige mais pas une telle quantité d’eau; celle-ci a donc dévalé, emportant sur son passage arbres, habitations, rochers, formant un énorme courant de boue. Gonzalo nous montre une vidéo prise sur le fait; impressionnant et bruyant (avec lui c’est un vrai cours de géographie illustré!). Sur notre route, plusieurs éboulis corroborent son récit, la route est même parfois déviée.
Le paysage se fait de plus en plus aride, la vie humaine devient rare et bientôt nous franchissons le dernier poste de carabineros; après ce point il est possible de s’évader du pays, aucun douanier ne pourra plus nous arrêter mais les montagnes sont bien austères, un sacré barrage à franchir pour quelqu’un qui voudrait rejoindre l’Argentine. Les randonneurs qui s’embarquent pour un trek de plusieurs jours peuvent donner au poste leur identité ainsi que la durée de leur expédition et les secours pourront être mis en branle si nécessaire – ce n’est pas notre cas aujourd’hui, fort heureusement !
Comme premier petit échauffement, Gonzalo nous propose une marche d’un kilomètre vers une chute d’eau bien à pic. Les couleurs sont très belles, nous admirons un joli arc-en-ciel au pied de la falaise et le guide sera tout au long de la journée notre reporter photo également. Il connaît tous les endroits pour nous prendre en groupe ou individuellement et c’est un luxe que j’apprécie.
La météo est idyllique, le ciel d’un bleu intense et il nous fait remarquer qu’au loin vers le nord, il est plus blanchâtre. C’est la pollution de la ville, cette pollution énorme dont se plaignent les habitants de Santiago. Et pourtant il n’y a pas d’industries au centre du Chili, ce sont uniquement les véhicules qui rejettent du co2 et la topologie de la ville en forme de cuvette entourée de montagnes fait que cet air pollué stagne. Plusieurs personnes nous diront avoir dans leur maison un système de purification de l’air.
Au loin nous apercevons le volcan enneigé de Maipo; la vallée est encore assez large et verte. Sur « LA » route, seuls passent des camions qui transportent des pierres taillées dans les carrières de gypse et la route leur appartient; c’est la seule activité ici, avec le transport d’animaux que les bergers montent en été pour plus de fraîcheur. Cette route a perdu son revêtement de goudron, elle est plus chaotique mais large et sans précipices.
L’heure est venue d’abandonner le véhicule et son chauffeur; nous chargeons nos sacs-à-dos du pic-nic procuré par l’agence et d’une grande bouteille d’eau chacun. Des bâtons de marche sont à disposition et c’est une chance pour moi. Quelques conseils d’usage par Gonzalo (petits pas réguliers, attention aux pierres, protection du soleil, position du chat en cas de chute) et c’est parti sur un chemin de caillasse pour une ascension par grand vent. Il est un excellent guide, il a un oeil sur chacun de nous et a ponctué la montée d’arrêts, pour reprendre souffle, se désaltérer, admirer le paysage grandiose (car en montant les yeux sont fixés sur nos pieds!) et prendre des photos. Une usine sur notre gauche au loin fait tache dans le décor – il s’agit d’une petite centrale hydro-électrique qui suscite pas mal de polémique au Chili.
Arrivés au pied du « vase » du volcan (son sommet enneigé est à 5’860 mètres), nous posons notre camp pour le lunch, avec une telle satisfaction du but atteint, dans un paysage merveilleux. Les montagnes ont des couleurs diverses, des coulées de sédiments, des mouvements de plaques tellement visibles … Quelques légers nuages apportent une touche artistique à l’immensité du ciel. Chacun trouve sa place à l’abri d’un rocher pour manger son pic-nic et nous avons la consigne de laisser au sol les déchets alimentaires … pour les chèvres qui sont à l’alpage, avec une végétation rare et peu variée. Nous ne croiserons personne, aucun autre groupe de touristes sur nos traces – c’est magique ! L’ambiance du groupe est joyeuse et Gonzalo entame la descente à un rythme drôlement soutenu, sans plus aucune pause. Je n’ai pas exactement les chaussures idéales pour une descente raide sur un chemin à ce point caillouteux mais je ne m’imaginais vraiment pas, en faisant mes valises il y a 10 jours, que je participerais à une telle randonnée – les semelles de mes Dolomites sont lisses ce soir, elles auront fait leur dernière marche dans la Cordillère des Andes !
Roberto nous a attendus, c’est rassurant. Le vent s’est levé de plus belle et nous souffle du sable en plein visage. Après l’effort, le réconfort et c’est ainsi que le guide débouche du vin pour trinquer à notre joyeuse excursion (ce sera du vin avec un peu de sable …). Et Rosa rend place avec nous dans la voiture, elle doit se rendre dans un hôpital à Santiago et a profité de notre halte pour demander la faveur du transfert en voiture. Sa petite famille et elle passent l’été ici, emmenant leur troupeau de 200 chèvres, 50 moutons et 20 chevaux. On pourrait croire que c’est un peu comme la vie dans les mayens du Valais mais leur habitat est ici nettement plus rustique, fait de planches et de tôles. Gonzalo a terminé son cours de géographie … il nous met une jolie musique latino pour la rentrée directe vers ce qu’il appelle la « jungle de béton » …
13 mars 2017 à 21:25
Très belle randonnée. Une expérience supplémentaire. Bravo.