Aujourd’hui nous sommes seuls et Yves me dit espérer ne pas sentir de différence s’il compte sur mes qualités de guide improvisé, qui a quand même bien potassé son histoire ! Ueno-koen est un grand parc au centre de la ville, avec un zoo, des musées d’art, des étangs et des temples ou sanctuaires et où tout Tokyo vient célébrer en avril la floraison des cerisiers. Avant d’y pénétrer nous longeons les rails, dans une étroite ruelle où se tient Ameyayokocho, un des derniers marchés populaires de Tokyo, animé et grouillant, où les étals de poissons séchés, de crabes vivants, d’algues côtoient les échoppes de vêtements, de chaussures ou de téléphones portables. Benoît n’a pas manqué de nous conseiller une visite de Yamashiroya, un magasin de sept étages, tel un immense coffre à jouets avec des dérivés de mangas et de dessins animés, peluches de Totoro ou figurines de Gundam … tous personnages que nous connaissons à présent. Mais le plus grave pour moi, c’est le rayon des puzzles ;-).
Sur les marches menant au parc, nous sommes attirés, fascinés par un artiste à la longue barbe blanche qui avec ses pinceaux, ses fuseaux immortalisent les temples, les jardins de son pays … la tentation est forte, nous choisissons le Pavillon Doré de Kyoto et lui, nous offre un message en kanji signifiant ‘every day, a good day ‘.

Le parc est vaste, nous passons d’un petit temple à un sanctuaire, chacun ayant sa spécificité que ce soit les statues de renards qui le protègent ou bien l’allée de Torii rouges qui y mène. Malheureusement le sanctuaire Toshogu datant de 1627 et miraculeusement épargné par l’histoire est en réparation ; nous ne pourrons qu’admirer sa longue allée de grandes lanternes de pierres. Un monument commémore le drame de Hiroshima, la flamme a été coulée avec du métal extrait du site en fusion à l’époque. Une superbe Pagode à cinq étages, d’un ancien temple trône près de l’entrée du zoo. Tokyo se vante également d’être une ‘ville verte’ et ici nous avons de superbes jardins fleuris mais aussi potagers réalisés sur des supports en pente exposés au soleil.
Le temple bouddhiste de Jomyoin est connu pour ses étonnantes 84’000 statuettes en pierre de Jizo-bosatsu, protecteur d’enfants. La plupart des statuettes portent une sorte de bavoir ou un petit bonnet de bébé ; elles devaient assurer la protection et la survie des enfants à une époque où la mortalité enfantine était importante. Et nous arrivons au cimetière paisible de Yanaka, qui date de la fin du 19ième siècle, où reposent le dernier shogun du Japon ainsi que quelques célébrités écrivain, peintre et autres. Des tombes anciennes en pierre mais aussi plus récentes en marbre s’échelonnent dans Yanaka-bochi sur des centaines de mètres et nous observons ces planchettes de bois avec des inscriptions, dressées près des monuments funéraires. Tadashi, notre guide de Kyoto, nous expliquera qu’à la mort d’une personne, la famille appelle le moine pour qu’il donne au défunt un second nom, le nom qui permet de passer du monde des vivants au monde des morts. Ce nom est souvent assez long et c’est lui qui est gravé sur les planchettes que nous voyons dans les cimetières. Les corps sont toujours incinérés et une partie des cendres est enterrée dans le sanctuaire du quartier tandis que le reste est placé dans une petite urne, glissée dans un autel où la famille viendra se recueillir.
C’est un peu un jeu de piste pour ressortir de ce cimetière et nous débouchons près de la gare de Nippori, dans un quartier traditionnel et calme qui donne presque l’impression d’être dans un village plutôt que dans une grande capitale. Nous déjeunons au Café Renoir, dont l’enseigne attire nos regards … mais il n’y a ni anglais sur les menus ni dans les paroles des serveuses ! Nous choisissons sur de petites photos, sans être certains si la couleur verte correspond à de la salade, de la pomme, du wasabi ou du thé vert ni le rouge à de la tomate ou du saumon. Les sandwichs et le petit gâteau aux marrons sont très bons, le thé froid de couleur vert me surprend … il est opaque et pâteux ; Yves s’empresse de demander un café, toujours une valeur sûre.
Yanaka Ginza est une charmante ruelle au charme désuet, avec ses échoppes de thé vert et ustensiles pour la cérémonie du thé, de bonbons faits maison au parfum de gingembre ou de patate douce, de vêtements traditionnels, de tissus, de restaurants et de confiseries diverses. Le quartier a survécu aux tremblements de terre de 1923 et aux bombardements de la seconde guerre mondiale ; on y ressent l’atmosphère du vieux Tokyo populaire.
Mon ‘client’ réclame à présent une région plus moderne, plus vivante … et je le ramène en métro à Tokyo Station que nous pouvons photographier de jour et apprécier dans toute sa splendeur. Plus futuriste est le Tokyo Forum, une merveille architecturale, audacieuse, qui a la forme d’une énorme coque de bateau en verre, haute de 60 mètres et traversée par des passerelles ; il s’y tient des expositions, des foires ou des concerts.
Yves a-t-il pensé que je l’amenais dans un quartier où j’ai repéré quelques magasins qui me passionnent, à commencer par Muji (une enseigne que j’ai découverte à Singapour). Il est également séduit par ce grand établissement au design sobre, en bois, typiquement japonais et où l’on trouve de tout pour aménager sa maison ; il y a même un petit coin installé comme une vraie maison japonaise … de toute beauté. Muji est né en 1980, en réaction aux signatures griffées, proposant elle des produits simples, sans marque, basiques, intemporels et surtout fonctionnels. Font partie de la collection des meubles et tapis, des objets de l’art de la table, du bain ou du bureau, de l’habillement et du cosmétique et même de la nourriture en petits conditionnements. Je m’étonne, ou m’émerveille, devant un coussin pour lunette de WC, un vélo blanc design pour les courses ou des gants tactiles pour utiliser sur nos tablettes. Je sais où je viendrais m’approvisionner si un jour nous nous installions au Japon ! Et nous ne ressortons pas aujourd’hui les mains vides.
Tout à l’opposé, Chuo-dori voit se succéder les enseignes de luxe, les grands magasins et les pâtisseries mais c’est dans le bloc Chuo-ku que je déniche Ito-Ya, avec l’aide d’une charmante jeune dame qui se renseigne elle-même pour nous y guider, tel que nous l’ont décrit le gens ayant visité le Japon. Ito-Ya est une papeterie renommée pour son washi, papier traditionnel fait main, uni ou imprimé, ses pinceaux, ses pâtons d’encre pour la calligraphie, ses tissus pour en faire des sacs ou des emballages … waouh, comment ne pas résister !
Les trottoirs sont peuplés d’acheteurs ; alors que nous regardons le plan à la recherche du Sony Building, un autre monsieur très chic, très classe se propose de nous aider. Il discute, se renseigne sur nos origines, se plait à dire que son fils a étudié à l’université de Keio et que lui a voyagé en Suisse … il est bavard, sympathique, me suggère l’une ou l’autre photo tandis qu’il chemine avec nous jusqu’à l’intérieur du bâtiment Sony ! Nous le remercions avec moult courbettes et arigato gozaimasu (sachant que le r se prononce l comme le v se prononce b, Yves se dit Ibou) dont nous sommes à présent familiers et nous apprécions ce show room extraordinaire d’un des plus grands fabricants de matériel électronique du Japon. Sur plusieurs étages sont étalées les nouveautés dans le domaine des télévisions, des consoles, des téléphones … couleur et design sont les caractéristiques frappantes de la marque, pour ma première impression.
Nous rentrons sur Jimbocho où Yves achète quatre exemplaires de son livre en version locale, pour offrir aux collègues qu’il rencontrera ce soir et les prochains jours … ce qui étonne la vendeuse qui nous fait remarquer que c’est un livre en japonais … oui, oui … et que c’est quatre fois le même … eh oui !
J’ai droit à une petite pause jacuzzi à l’hôtel pendant que Yves va rencontrer le professeur Nonaka, en compagnie de Noboru, deux personnes qui utilisent et diffusent le modèle BMG ici à Tokyo. L’accueil est formidable, le plaisir est totalement partagé de part et d’autre ; ils s’échangent leurs livres respectifs et forment le vœu de se revoir prochainement, probablement ici au Japon.
Sur ces bonnes nouvelles, nous montons tous joyeux vers le croisement de Suidobashi et choisissons un restaurant qui se trouve dans Meets Port, un bâtiment cylindrique où s’échelonnent des restaurants traditionnels sur cinq étages. Et nous allons nous refaire un délicieux Yakiniku sur la table, servis par des hôtesses en jolis kimonos et tellement attentionnées. Je passe la serviette humide pour se rafraîchir avant le repas et la grande bavette qui épargne nos blouses, pour relever des points plus inattendus : sur chaque table, un petit bouton pour les appeler dès que nous sommes prêts à commander par exemple, le grand tissu qu’elle pose sur nos sacs afin qu’ils ne soient pas éclaboussés, le bac au sol qui permet d’y ranger son parapluie éventuellement, la grille qui est changée en cours de repas dès qu’elle est trop noire de sucs de viande. Les tables sont en marbre ou plus souvent en laque très épaisse, donc sans nappe et les plateaux de bois ou bambou tressé recouverts eux aussi de laque japonaise parfois colorée. La soirée se passe en beauté, le guide a bien travaillé tout le jour et le maître est heureux!