Je me suis fait hier soir un itinéraire précis – avec les stations métro – et complet pour une série incroyable de choses à voir aujourd’hui. Une vraie journée ‘marathon’ et c’est d’ailleurs juste en face de l’hôtel que se trouve la ligne gravée sur le trottoir de cette course célèbre depuis 1897 – avec seulement quinze coureurs pour la première édition alors que de nos jours ils sont plus de vingt mille. Elle fut malheureusement cette année un lieu de tragédie, dont tout le monde ici parle encore; des fleurs, des chaussures, des peluches commémorent ce triste événement. Les professeurs que l’on rencontre et qui habitent sur le campus témoignent de ces jours effrayants à Cambridge, devenue ville fantôme, avec les rues désertes et seuls les bruits des sirènes et des coups de feu.
Copley Square – du nom d’un peintre portraitiste né à Boston en 1738 – est le cœur de Back Bay, anciennement un étang vaseux dont le niveau de l’eau dépendait des marées jusqu’au moment où Boston s’étend et où ce quartier est remblayé fin du dix-neuvième siècle pour devenir un quartier de résidence, de rues commerçantes aux façades de grès brun et aussi de beaux espaces verts. La place est dominée par la plus haute tour de la ville – soixante étages -, Hancock Tower toute en verre, dessinée en 1976, par l’architecte sino-américain I. Ming Pei – à qui l’on doit la pyramide du Louvre. Dans cet énorme miroir se reflète la Trinity Church, église anglicane de 1733. Sa façade en grès et granit est déjà spectaculaire en soi mais entrer dans cet édifice religieux inspire le respect, le calme. C’est l’artiste La Farge qui imagina cet intérieur très coloré, assez foncé; des motifs, des fresques et des dessins inspirés de l’église chrétienne, mais aussi un peu de byzantin, de motifs médiévaux et de la Renaissance. Les vitraux, extraordinaires, sont souvent l’œuvre d’artistes européens. L’église fut construite alors que le sol était encore mouvant, ainsi elle repose sur d’énormes pieux et un système de drainage fut mis en place.
L’autre bâtiment somptueux de la place est la bibliothèque municipale, avec une imposante façade, des escaliers la surélevant, et de part et d’autre de l’entrée une statue représentant l’Art et une autre la Science. L’intérieur est conçu comme un palais Renaissance, avec un majestueux escalier de marbre, des plafonds de mosaïques, des peintures murales et une paisible cour intérieure.
Le métro me débarque ensuite le long de Fort Point Channel, que j’enjambe pour voir de plus près le Children’s Museum, le meilleur terrain de jeux pour les petits et sur l’eau, le Boston Tea Party Ship qui permet aux visiteurs de revivre les événements de 1773, qui bloquèrent le port de Boston, début de la révolution américaine. Sur les quais où je me balade et admire de loin, les gratte-ciels du quartier financier et le magnifique édifice de verre de l’Intercontinental, une exposition particulière du Design Museum, appelée ‘Design is everywhere, so are we’, permet de prendre place sur des bancs publics originaux dont chacun est détaillé et expliqué sur un panneau et ceci tout le long du canal.
Cette partie de la ville semble en plein bouleversement; un grand palais des congrès et ses hôtels de luxe semblent avoir remplacé un ancien quartier de pêcheurs et d’artistes. C’est ici que se trouve aussi, en porte à faux de l’embouchure de ce bras d’eau, le ICA (Institute of Contemporary Art) à l’architecture novatrice et dont l’éclairage de nuit procure tout son effet. Derrière un contour de la promenade sur les quais, surgit un imposant bâtiment cylindrique, incurvé, de briques rouges et de verre qui abrite la Cour de Justice, face au fleuve.
Plusieurs grands espaces verts ont émergé dans la ville; une grosse route qui traversait jadis la ville a été enterrée et transformée ici en une chaîne de parcs et jardins, la Rose Kennedy Greenway. Entre l’eau et les buildings du quartier financier, je m’arrête pour humer, admirer les fleurs et la verdure; une jeune horticultrice discute deux mots et me donne le nom des roses rouges très en fleurs.
Le bâtiment des pompiers est spectaculaire, ainsi que bien d’autres hauts buildings dont certains sont un mix entre ancien et nouveau, tel le Exchange Building. Peu de façades avec des peintures comme à Montréal mais par contre, on retrouve toujours aux États-Unis les camions rutilants aux enseignes évocatrices.
La Custom House Tower, tour carrée avec sa grande horloge, abrite aujourd’hui le Marriott hôtel et elle me signifie que je suis proche de Quincy Market. Trois longs bâtiments à l’arrière du Faneuil Hall où passe le ‘Chemin de la Liberté’, sont un endroit pour le shopping – quelle bonne idée d’avoir emporté deux valises moitié vides – et la bonne table, un quartier piéton où s’en donnent aussi les artistes de rue. C’est ici que l’histoire de la ville a commencé il y a quatre siècles, et l’on ressent le mariage entre l’architecture coloniale qui jouxte dans le paysage élancé des gratte-ciels. Les quais accueillaient dans le temps des navires marchands, chargés de café, de thé, d’épices et ce sont maintenant des ferries et des bateaux de croisières pour passagers.
Le long de Union St., le Mémorial de l’Holocauste est original, avec un couloir de granit noir qui traverse six hautes structures de verre sur lesquelles sont gravés six millions de numéros ainsi que les témoignages de quelques survivants, un passage silencieux dédié au souvenir. Avant de reprendre le métro, j’observe ce massif gris du Boston City Hall, conçu par I. Ming Pei aussi mais qui est considéré ici comme un échec, sans espace vert, trop de béton.
Quelques stations plus loin, je débarque au nord de Charles Street, l’artère qui borde le quartier le plus prisé de la ville, Beacon Hill. Des rues étroites, vallonnées, des maisons et des trottoirs de brique rouge, des réverbères à gaz, des fleurs et de la verdure qui dégringolent des rebords des fenêtres, des boutiques chics et des antiquaires en font un endroit de flânerie tranquille, plein de charme. Et c’est à Louisburg Square, un jardin privé, une enclave pour les élites, que le prix de l’immobilier atteint des sommes folles … c’est magnifique.
Par une longue passerelle au-dessus des avenues, j’accède au parc qui suit les berges de Charles River Bassin, l’Esplanade, propice à la balade, aux pic-nics, aux siestes au soleil sur une estrade en bois tout en regardant les embarcations sur l’eau et en face le campus du MIT; des sentiers traversent les pelouses où se promènent les écureuils, des lapins, des oies, … des petits ponts, des étangs, des sculptures dont la tête en plaques d’acier de Arthur Fiedler, initiateur du parc et des concerts en plein air alors qu’il jouait dans l’orchestre symphonique. C’est pourquoi sur la grande plaine se trouve une scène très originale en forme de coquillage, en bois sur l’intérieur, où les concerts attirent tout l’été des centaines de milliers de spectateurs, notamment le 4 juillet pour la fête nationale et son feu d’artifice. Arthur Fiedler y a amené la tradition d’un concert du Boston Pop’s Orchestra, qui en 1929 se donna dans une scène temporaire en bois déjà en forme de coquillage.
Rentrant dans les rues de la ville, un attroupement devant Cheers, un pub rendu célèbre par une série télévisée qui connut un succès énorme entre 1982 et 1993 – beaucoup trop vieux pour nos garçons -, racontant la vie de ce bar de Boston et qui détient toujours le record d’audience (84 millions de spectateurs pour un épisode). Un deuxième bar Cheers a ouvert au marché Quincy et ils ont même inventé, semblable à la Freedom Trail, un Cheers Trail documenté, menant de l’un à l’autre.
Et je rentre progressivement vers Back Bay, en traversant Commonwealth Avenue Mall, non pas un centre commercial mais une allée harmonieuse de parcs, une artère de verdure où s’échelonnent des statues. Un U-Turn et la ligne droite de Newbury St., longue de deux kilomètres, bordée d’arbres, de jolies boutiques, de terrasses me fait découvrir un petit magasin regorgeant de bonbons, irrésistible. J’aime également ces vitrines extérieures, présentant des vêtements dans les cours devant l’entrée de la boutique ou ces sièges en forme de main manucurée pour signaler un Nail Beauty.
Le timing est parfait, nous nous retrouvons à l’hôtel vers 16 heures; Yves, après avoir rencontré un collègue de Babson College s’est dirigé vers Harvard pour se plonger dans l’ambiance et travailler à son aise, dans une librairie ou un café. Et c’est ensemble que nous partons vers le sud-ouest, en direction du Musée des Arts, agrandi il y a peu d’une aile moderne mais c’est un autre musée qui nous tente ce soir, le Isabella Steward Gardner Museum. Cette riche dame bostonienne, collectionneuse d’art et globe-trotteur pour acheter des œuvres, fit construire ce palais de pur style vénitien, sur trois étages pour y exposer ses quelques deux mille pièces. Elle fonde le musée en 1903 et y présente sa collection de peintures, de sculptures, d’objets d’art décoratif dans des pièces ouvrant sur une superbe cour intérieure plantée de fleurs et de plantes. Sa collection comprend des Rembrandt, Titien, Boticelli, Vermeer … certains tableaux ont été volés en 1990 et jamais retrouvés, est-ce pour cela que les gardiens sont si nombreux et que toute photo est interdite. En 2012, Renzo Piano conçoit une nouvelle aile, toute moderne celle-ci, aérée avec un salon, un restaurant, un jardin et sur la façade un portait d’un homme africain, imprimé sur un maillage, réalisé par Adam Pendleton, un artiste noir américain connu, ayant déjà exposé au MoMA et au Tate. Cette façade change tous les six mois, invitant des artistes à créer une œuvre pour cet endroit précis.
Nous remontons à pied vers notre Square, en traversant un jardin public – anciennement un marais – qui fait partie de Boston Emerald Necklace; ce ruban vert qui s’étire sur onze kilomètres à travers la ville a été conçu par Frederick Law Olmstead, le créateur de Central Park à New York. Cette partie, appelée Back Bay Fens est sauvage et nous plait, tout comme la magnifique roseraie qui rayonne de couleurs et de parfums.
Ce coin renferme de nombreuses Universités et écoles supérieures, il est animé par les étudiants dans les nombreux bars et bistrots; le Berklee College of Music est une des meilleures des États-Unis, nous traversons son quartier et je peux dire en tout cas que c’est vaste.
Ayant déjà pas mal sillonné la ville, mon impression est vraiment très agréable; Boston présente de nombreux espaces verts super bien aménagés, la ville est vraiment nette et propre en son centre touristique, peu de travaux et de chantiers, nettement moins de personnes qui demandent l’aumône que dans d’autres métropoles, beaucoup de façades rouges, quelques escaliers extérieurs par-ci par-là, de jolies façades de cuivre pour des loggias d’appartements bien situés.
Une journée riche en découvertes, qui se termine autour d’un bon repas – homard pour moi évidemment – en compagnie d’Olivier, un jeune professeur de Liège qui parvient à passer plusieurs mois par année ici à l’université Bentley de Boston pour y faire de la recherche.
Ce soir le sommeil m’assaillit rapidement …