Si la nuit nous a permis de récupérer de l’énergie, toutefois ce n’est pas avec le petit-déjeuner médiocre que nous tiendrons bien longtemps; Mathieu est désigné pour nous trouver mieux pour demain.
Et ce matin, il aimerait que nous commencions par Harlem; un des concierges de l’hôtel, un petit noir tellement drôle, nous fait tout un discours expliquant que certaines églises sont réservées aux locaux, que nous n’y trouverons aucune place mais que c’est bien d’y aller quand même. Au carrefour de la station de métro, ce sont des dizaines de policiers qui s’apprêtent à gérer le grand défilé de la Gay Pride; impressionnant comme déploiement des forces de l’ordre – et de nombreuses rues sont bordées de barrières Nadar.
Voulant monter à bord d’un ‘omnibus‘, nous attendons assez longtemps dans cet underground étouffant de New-York, tel un vrai sauna et finalement nous arrivons au cœur de Harlem sur la 116th au nord de Central Park. C’est exact qu’il y a plusieurs églises baptistes où afflue la population noire bien endimanchée; la première Église Corinthienne est installée dans un ancien théâtre. Les cultes se déroulent au rythme du Gospel qui s’échappe sur le trottoir …
J’hésite, puis je me décide à entrer dans Mount Olivet Baptist Church et mes hommes me suivent – à regret, peut-être. L’ambiance y est unique, les fidèles amassés dans les premiers rangs vivent cette célébration de tout leur cœur, ils applaudissent et s’exclament à certaines allocutions du révérend ou de la diacre, ils se lèvent et frappent dans les mains au rythme des chants, ils ont tous revêtus leurs plus beaux habits, les dames portent un chapeau.
Les enfants du chœur Curtis sont habillés de noir, les petits garçons ont un joli nœud papillon rouge à la chemise et les filles portent un Borsalino rouge également; on fête le premier anniversaire de cette jeune chorale et tout le monde se lève pour les applaudir. Cela ressemble à un vrai moment de partage, de communauté; le révérend s’enquiert même des nationalités des blancs qui se sont logés au fond de l’église – y a-t-il des Français? des Japonais? des Australiens? – et nous sommes tous invités au repas qui va suivre l’office. Une chaleur humide envahit l’église, des éventails à l’effigie d’un religieux sont distribués aux fidèles, par des dames vêtues de blanc qui assurent le bon déroulement de la célébration.
Un orchestre avec piano, cymbales et guitare se déchaîne ensuite pour accompagner la chorale toute entière; l’assemblée se lève, chante, tape dans les mains et s’anime comme à un concert … Oh que j’aime cette ambiance dansante, chantante dans une église … Merci Mathieu d’avoir suggéré Harlem!
Ce quartier a toujours joué un rôle important pour la culture afro-américaine; il a été un des centres de lutte pour l’égalité des droits des citoyens et ce n’est pas sans nous rappeler le quartier de Martin Luther King à Atlanta. Encore considéré comme un ghetto il y a une dizaine d’années, où régnaient la violence et la criminalité, Harlem s’est peu à peu transformé en une zone presque attirante et dynamique – Bill Clinton a choisi d’y installer ses bureaux au début des années 2000.
Des centres commerciaux, des théâtres et cinémas, des musées, des boutiques et restaurants avec terrasse où se joue du jazz s’échelonnent le long des rues aux jolies façades, avec ces escaliers extérieurs – ici ils sont des sorties de secours et non comme à Montréal les accès aux logements. Mathieu trouve son bonheur dans des magasins comme le célèbre Jimmy Jazz, où les jeans, t-shirts, casquettes de marque sont à prix très serrés – mais où ne trouverait-il pas son bonheur ici à New-York, ville de shopping par excellence! Yves se plait lui à observer le comportement, les tenues, les carrures des gens dans la rue, les ventes qui se font sur les trottoirs comme ces essences de parfums et tout cela souvent en musique. Et je ‘navigue‘ entre mes deux hommes, profitant de la climatisation des magasins pour me rafraîchir, le temps est lourd, orageux.
Aujourd’hui je freine un peu l’entrain des garçons et je propose – ou impose presque – de reprendre le métro pour se rapprocher de Central Park; il y a quand même une trentaine de rues qui nous séparent du prochain point de chute. Et pour rejoindre la Fifth Avenue, nous empruntons la traverse numéro trois, juste au sud du réservoir du Park; quel grand lac – Mathieu renonce à en courir le tour qui est pourtant bien fréquenté! La taille de Central Park mériterait, pour moi du moins, une journée presque complète mais « ce n’est qu’un parc, juste spectaculaire par sa taille au sein d’une ville » concluent les boys. Le ciel s’assombrit, le vent se lève, les premières gouttes commencent à tomber à l’approche du Guggenheim. Alors que les parapluies s’ouvrent pour les visiteurs faisant la file sur le trottoir, mes entrées commandées sur le net nous permettent l’accès direct au Musée.
Ce bâtiment de 1959, est l’œuvre de l’architecte Frank Lloyd Wright qui a imaginé une galerie longue de huit cents mètres grimpant en spirale jusqu’à une coupole. C’est vraiment spectaculaire, et à force de tourner je suis comme perdue, ne sachant plus ce que j’ai déjà vu ni à quel niveau je me trouve, ni quel sens je dois prendre en quittant une salle d’exposition! C’est un plaisir de découvrir la réalisation ici dans le hall central du Guggenheim, de James Turrell, un artiste américain qui joue avec l’espace et la lumière. L’atmosphère créée par ces tonalités de couleurs pastel, lumineuses, relaxantes, envoûtantes et qui évoluent sans cesse pousse les visiteurs à s’allonger au sol … magique. L’inconvénient reste cependant le fait qu’il a couvert de toiles tout le tambour central, nous privant de la vue en profondeur de la spirale et de la coupole; une autre visite s’imposera!
Les bouquinistes le long du Park ont bien senti que le ciel ne se limiterait pas à quelques gouttes, ils replient et pas de chance pour moi, une deuxième traversée de Central Park tombe à l’eau. Mathieu sentirait bien une petite pause à l’hôtel – le décalage horaire et la fatigue de la session d’examens se font sentir – et nous allons rejoindre le métro avec l’intention de rentrer. Mais dans les catacombes de la ville, nous oublions presque la pluie et la fatigue, et à l’unanimité, optons pour descendre jusque SoHo – Olivier nous a conseillé cette portion de Broadway pour le shopping et mon guide parle de La Mecque du shopping branché.
OMG pour les jeans, les marques de sport Adidas ou Nike, des disquaires, des chaussures et même nos magasins préférés d’Asie Muji et Uniqlo; les prix et les marques nous semblent ici plus abordables que sur la cinquième au Nord et les bras s’allongent au poids des sacs.
Mathieu poursuit seul son ‘magasinage’ et rentre à l’hôtel tandis que nous flânons encore un peu dans SoHo, vers l’est pour rejoindre le Nouveau Musée d’Art Contemporain. Celui-ci s’est offert pour ses trente ans, en 2007, une nouvelle parure de zinc étincelant qui recouvre une tour de cubes empilés; cette modernisation est l’œuvre des architectes japonais SANAA qui ont créé le Learning Center de Lausanne. La rose en façade donne tout son effet selon moi à ce bâtiment, nous prenons un peu de temps pour monter sur la terrasse du dernier étage afin d’admirer la vue sur le sud de Manhattan, de parcourir ensuite les expositions d’Ellen Gallagher, de Llyn Foulkes et Erika Vogt, jusqu’à l’heure de fermeture du musée.
Le quartier de SoHo nous plait beaucoup, une autre facette de la ville, avec des rues aux maisons plus basses, jolies façades dont certaines, typiques sont en fonte, des colonnes, des corniches et des fenêtres de style. Nous passons devant un magasin Nespresso et aussi Apple, installé dans une ancienne poste. Remontant l’avenue La Guardia, nous arrivons à NYU, l’Université de New-York où Yves a rendez-vous mardi; les bâtiments sont très différents les uns des autres, certains avec des architectures intéressantes – ils sont faciles à repérer car ils arborent tous le drapeau mauve avec la torche. Elle a été fondée en 1831 par un homme politique du nom de Albert Gallatin; il s’agit de la plus grande université privée à but non lucratif et elle compte quarante mille étudiants de toutes disciplines.
Nous sommes ici dans Greenwich Village, un quartier agréable pour son parc, le Washington Square; un parc réputé joyeux, favori de la bohème New-yorkaise, avec des étudiants, des artistes de rue. Il est particulièrement animé ce soir; un pianiste joue en plein air sur un piano à queue des mélodies agréables, plus loin des jeunes se donnent au rap et aux acrobaties au son de leur transistor et autour de la fontaine, ce sont encore les extravagances de la Gay Pride.
Un petit Arc de Triomphe borde le parc; sous son arche depuis le sud, on aperçoit l’Empire State Building et depuis le nord, la Freedom Tower qui sera au programme demain … enfin. Le monument commémora en 1892, le centenaire de l’investiture du premier président américain Georges Washington. Et le peintre Edward Hopper habita juste en face, soit sur la même rue que notre hôtel.
Nous lançons nos achats sur le lit et c’est parti pour aller souper; le restaurant que j’ai repéré doit être très très sympa mais il est en plein cœur de Greenwich, qui semble être aussi le cœur des retombées de la Pride. Toujours beaucoup de barrières, des policiers en nombre, des trottoirs et rues encombrés de détritus et surtout une foule pas très engageante … nous nous faufilons pour en sortir au plus vite et dénichons une terrasse fort agréable, d’un restaurant français à l’enseigne ‘La Villette‘ au croisement de Bleecker et Americas. Un des serveurs, parisien, a reconnu notre accent – tiens donc … ; il devrait venir étudier à Montréal à la rentrée. Le filet mignon de Yves, l’entrecôte de Mathieu et mon Lobster sont de vrais régals; l’attente valait la peine, vraiment et les desserts renforcent encore notre impression d’un repas succulent … Qu’est-ce qu’on peut bien manger à NY!