Le train nous amène aujourd’hui très à l’ouest de notre localisation vers la gare de Musashi Konagei; là avec un peu d’aide nous trouvons le bus et l’arrêt qui nous permettra de visiter un musée un peu particulier. Depuis la période où elle s’appelait Edo (1600 à 1868), Tokyo a subi de nombreux incendies, tremblements de terre, guerres, inondations qui ont détruit son patrimoine architectural. C’est pourquoi en 1993, le gouvernement a inauguré au sein d’un grand parc, un musée en plein air où sur sept hectares ont été reconstruites trente-cinq maisons après avoir été démontées pièce par pièce de différents quartiers de la capitale. Les plus anciennes datent du début de l’ère Meiji et les plus récentes des années 1960. Toutes ces maisons se visitent, nous allons donc sans cesse nous déchausser, et le mobilier exposé est toujours d’époque.
Nous commencerons pas un studio photo, une résidence privée au jardin magnifique avant de nous attarder dans des fermes très anciennes et une maison des gardes du temps des shogouns, au toit de chaume dont l’épaisseur me surprend. Nous aimons beaucoup ces habitations entièrement construites en bois, aux sols recouverts de tatamis ou de plancher, aux parois coulissantes de tous genres permettant d’occulter, de privatiser tel endroit – les fenêtres, les stores, les murs, … tout coulisse. Une dame nous montre les premières salles-de-bain où l’eau s’écoule vers le sol directement, les anciens foyers où l’on cuisait le riz et qu’ils alimentent toujours de feu à l’heure actuelle car c’est la seule façon de conserver ces habitations et leurs toits de paille – la fumée est nécessaire pour éliminer les insectes destructeurs et assurer la sécheresse de cette couche de paille. Elle nous avoue ne pas savoir d’où vient cette habitude qui perdure de vivre à même le sol; les chaises sont plus confortables, nous dit-elle!
Suivent certaines habitations plus modernes, parfois dessinées et habitées par l’architecte lui-même en leur temps; certains se seraient inspirés de l’Europe suite à des voyages qu’ils y ont fait, alliant ainsi par exemple une tendance hollandaise ou allemande au style japonais. Nous mangeons dans celle de l’architecte allemand George de Lalande, qui se trouvait près de Shinjuku, et qu’il a rehaussée de deux étages en bois; nous sommes superbement installés dans le petit jardin et en nous entendant papoter, notre voisin de table se fait un plaisir de s’adresser à nous en français. Il est professeur émérite, enseignait la peinture et la calligraphie – nous l’avions d’ailleurs vu à l’œuvre au début de notre balade.
Au centre du parc, un petit temple mausolée construit par une princesse pour honorer sa mère; il date de 1652. Et les deux maisons suivantes du début du vingtième siècle, celle de la famille d’un politicien influent et celle de la famille Nishikawa connue dans le commerce de la soie, je les adopterais volontiers; elles ont des espaces agréables, des galeries extérieures, une harmonie toute simple et le jardin, partiellement reconstitué me plairait également.
Nous atteignons la dernière partie avec un bureau de Koban – pas très différent de ceux que l’on voit dans tous les quartiers de la ville – et de nombreux commerces, un tailleur, un bar, une papeterie, un fleuriste, un magasin de sauce soja et saké, une échoppe de casseroles, un fabricant de cosmétiques ou d’ombrelles. Certaines façades sont recouvertes d’une fine brique ou de cuivre mais les ossatures sont toujours entièrement en bois. Nous avons l’impression de nous balader dans un décor de tournage de film, c’est superbe et nous arrivons au bout de la rue aux bains publics, avec une large porte d’entrée et une enceinte semblables au style des temples chinois; ce sont des bains de luxe, les salles intérieures sont larges, hautes, lumineuses et joliment décorées – même si nous trouvons que les bassins eux-mêmes ne sont pas très grands.
La ferme que nous visitons en dernier est très prestigieuse, son toit toujours fascinant, l’odeur de fumée agréable, sa cour intérieure inspirant la sérénité.
Et voici une visite qui nous a tous deux intéressés; nous reprenons un bus qui rentre vers la gare – facile à présent – pour ensuite rentrer vers la ville en train. A Shinjuku, nous prenons un métro pour aller zoner dans le quartier de Roppongi. Un énorme complexe, repérable de loin, caractérise ce quartier surtout fréquenté par des touristes étrangers et des expatriés. La grande tour bombée, la Mori Tower, du nom du magnat de l’immobilier Mori Minoru aussi appelé l’empereur de la pierre, est très belle du haut de ses 238 mètres; l’araignée aux longues pattes, œuvre de la française Louise Bourgeois, signale l’entrée du centre commercial tout moderne et esthétique et l’on aperçoit la première tour de Tokyo construite en 1958, qui ressemble à la Tour Eiffel. Le carrefour de Roppongi connaît peu de moments calmes et il est surmonté d’une voie express.
Les souvenirs de l’année dernière revivent, nous nous dirigeons à l’instinct vers des immeubles aux façades de verre qui constituent ce qui s’appelle Midtown; un énorme complexe également, inauguré en 2007, avec des espaces verts, des bureaux, des logements, l’hôtel Ritz-Carlton et une galerie commerçante très luxueuse. Une animation se passe en cette fin de journée autour des glaces Ben&Jerry – pensée pour nos deux fils qui en raffolent.
À une des extrémités du bâtiment, un espace est réservé aux designers; il s’agit de 21/21, nom donné pour signifier la volonté du centre d’aller au-delà de la perfection, du 20/20. Nous y parcourons une exposition sur le riz, élément très important ici en Asie mais c’est surtout l’architecture de l’édifice qui nous plait, fait d’un mélange d’acier, de béton brut, de verre. L’architecte, Andô Tadao, l’a voulu léger, aérien, faisant penser à un oiseau de papier; dans ce lieu de réflexion, les designers japonais et étrangers sont invités à venir présenter et lancer leurs nouveaux concepts.
La ville s’éclaire de ses milles lumières et nous allons retrouver le Gonpachi, un restaurant resté bien ancré dans nos souvenirs. La salle est toujours originale, le décor des auberges d’antan, les menus sont excellents, les serveurs un peu plus polyglottes qu’ailleurs car c’est un repère de touristes également; ici a été tournée une scène du film Kill Bill.