Noboru et Kumi nous invitent ce midi au Tsuruya, un des restaurants de l’hôtel Peninsula, qui a la réputation d’être le petit frère de celui de Kyoto, un trois étoiles au Michelin! Woah, nous sommes gâtés, la cuisine s’apparente aux menus Kaeseki où de nombreux petits plats sont exclusivement préparés avec des produits frais de saison, où couleur, odeur, croquant, saveur, apparence éveillent tous les sens. Ce repas autour d’une cuisine traditionnelle qui se révèle être tout un art en soi, se déroule fort agréablement avec nos amis, le service est assuré par des dames discrètes, vêtues d’un superbe kimono et le décor est très épuré. C’est parfait mais je n’ose pas prendre de photo, le souvenir restera seulement dans nos mémoires.
Me trouvant juste à un coin du Parc Impérial, je choisis de rester par ici pour ma découverte de l’après-midi. Le palais impérial est bien caché dans un parc, protégé par de hautes murailles du seizième siècle, entouré de douves et il n’est ouvert au public que deux jours sur l’année (2 janvier et 23 décembre, jour anniversaire du souverain). Il fut autrefois le château d’Edo, forteresse des shoguns de 1619 à 1868 et depuis l’ère Meiji, il est devenu la résidence principale des empereurs. Le château fut toutefois presque entièrement détruit par les bombardements américains en 1945 et le palais actuel, de type plus occidental date de la fin des années 1960.
Un large chemin entoure le parc, il est la piste privilégiée des joggeurs de Tokyo sur ses 5 kilomètres, que je vais parcourir … sans courir! Mon point de départ est le pont de pierre Niju bashi, qui n’est toutefois pas l’accès qu’emprunte la famille impériale; plusieurs larges portes bordent les diverses entrées du parc.
C’est en dehors de l’enceinte que je me mets en marche dans les sens des aiguilles d’une montre; ici se trouvent les différents ministères et l’on observe de nombreuses antennes au sommet des bâtiments – le ministère de la justice, en briques, la Diète Nationale vue hier soir, la Cour Suprême tel un gros bunker de béton, le Théâtre national de style plus japonais avec sa façade de bois sombre et ensuite la Radio ainsi qu’un magasin au pignon amusant, Wacoal, spécialisé en lingerie.
Mon chemin s’élargit en un joli petit parc, sans perdre de vue les fossés d’eau qui bordent le domaine impérial. Les consignes de respect et de bonne tenue sont ici détaillés en version plutôt textuelle, ensuite plutôt bande dessinée pour enfants et il faut noter que tout est respecté. Les premières fleurs de cerisiers nous montrent le bout du nez et de grands panneaux parlent déjà du festival Hanami, qui littéralement signifie « regarder les fleurs » et tout spécialement Sakura pour les cerisiers. Des ouvriers sont à l’œuvre pour poser tous les cinq mètres des spots qui créeront une ambiance féerique une fois la nuit tombée. Le Parc Chidorigafuchi est, avec Ueno, un des endroits privilégiés pour admirer cette floraison rosée qui ne devrait pas tarder.
Je m’écarte quelque peu des douves pour aller voir Yasukuni-jinja, un sanctuaire shintoïste fondé en 1869 et qui rend hommage aux kamis de 2,5 millions de japonais morts pour le pays. L’allée, bordée de lanternes de pierre, avec de massives Torii très hautes, mène tout d’abord à la statue de Ōmura Masujirō, un commandant militaire du 19ième siècle qui a été le père de l’armée moderne au Japon.
Ensuite on découvre le temple et ses jardins, toujours super bien entretenus et où les premiers cerisiers attirent déjà les appareils photos; dans une galerie j’admire également une exposition d’ikebana. Ce sanctuaire est par contre controversé et crée la polémique à chaque visite du premier ministre car il honore aussi treize criminels de guerre ainsi que le général Tojo, qui était chef du gouvernement durant la deuxième guerre mondiale.
En ce jour il est toutefois très courtisé pour prendre des photos; il semble en effet que ce soit les célébrations de diplômes et je me trouve prise au milieu d’une foule impensable de jeunes avec leurs amis et familles, les garçons élégants dans leur costume sombre et les filles magnifiques avec leur hakama brodé de fleurs, assorti d’une blouse colorée. Le hakama est un large pantalon plissé, à l’origine porté par les nobles et les garçons pour les arts martiaux mais adopté aujourd’hui par les filles lors des cérémonies de graduation comme celle-ci ou dans les temples par les Mikos. Je me fais discrète, remontant à contre sens le flux de ce monde enjoué, c’est un grand jour pour ces centaines d’étudiants. Les événements se passent visiblement dans le Nippon Budokan Hall, un gros bâtiment massif qui a accueilli les compétitions de judo et d’arts martiaux lors des jeux olympiques de 1964.
Selon mes souvenirs, je traverse le parc Kitanomaru en direction de la Crafts Gallery qui se trouve en face de la large porte où j’avais eu la chance l’an denier de voir passer l’empereur et l’impératrice – c’est nettement plus calme, personne d’important en vue. Mon énergie n’est plus assez grande que pour entrer parcourir les galeries du Momat, le musée national d’Art moderne, et je termine plutôt ma boucle du pourtour du palais afin de reprendre le métro à Hibiya.