C’est aussi une île de la mer de Seto qui sera notre prochaine étape, après avoir combiné aujourd’hui bateau, train, shinkansen, train à nouveau et ferry. Nous logerons ici dans un Ryokan bien traditionnel, le Ryoso Kawaguchi ; la propriétaire que j’ai appelée à notre arrivée au port de Miyajimaguchi avant de prendre le bateau (j’ai juste dû dire « Isabelle » et elle a répondu « Hai Hai Isabelle » – un peu comme des messages codés, convenus d’avance) nous envoie une voiture au débarcadère sur l’île – service top classe.
Selon un moine qui traversa le pays en 1643, Miyajima est l’un des trois sites les plus spectaculaires et par conséquent des plus visités du Japon – l’île serait empreinte d’histoire, de mystères, comme un Japon en miniature, a-t-il dit. De notre côté c’est son célèbre Torii rouge émergeant dans la mer qui a poussé notre voyage jusque si loin de Tokyo. Il est le portail d’entrée d’un sanctuaire shinto, Itsukushima, qui lui aussi repose dans l’eau. Ce Torii impressionnant mesure presque 17 mètres de haut, pèse 16 tonnes ; il est périodiquement reconstruit depuis la période Heian et celui que nous admirons est la huitième version qui date de 1875. Ses piliers les plus gros mesurent dix mètres de circonférence, ils sont en bois de camphrier, recouverts d’une laque vermillon qui protège de la corrosion et ils sont simplement posés sur le sol. À marée basse, il est possible de marcher sur le sable les 200 mètres qui séparent O-Torii du sanctuaire.
Le spectacle, le soir de notre arrivée, est extraordinaire ; les illuminations, la marée haute, le recueillement des visiteurs nous transportent comme dans un autre monde. Les édifices construits sur pilotis, semblent flotter sur la mer, dans laquelle ils se reflètent tout en lumières rouges. Le sanctuaire est lui-même composé de nombreux pavillons, reliés par des pontons en bois (300 mètres de corridors au total) ; il est dédié aux trois déesses gardiennes de la mer. Ses origines remonteraient à la fin du 6ième siècle tandis que les bâtiments furent construits à partir du douzième siècle. Nous sommes subjugués par ce spectacle nocturne, nous nous parlons par gestes, émus – c’est tellement magique. Nous parcourrons à nouveau le site le lendemain, à marée basse cette fois et pourrons alors nous promener sur les pontons.
L’île est aussi réputée pour sa nature éblouissante, nous aimerons beaucoup le parc Moijidani que nous traversons avant de prendre le téléphérique qui gravit le Mt Misen. Des érables japonais en quantité, sont flamboyants dans leur vert tendre – c’est tout simplement magnifique. Et décidément, les daims se baladent au Japon là où les touristes affluent, ici comme à Nara – certains nous ont pris par surprise le soir dans les ruelles tellement silencieuses du village.
Le Mt Misen culmine à 530 mètres, le téléphérique est une très bonne idée mais pourquoi ne pas l’avoir amené au point le plus élevé – probablement pour nous permettre de faire nous aussi notre pèlerinage, de crapahuter dans la nature de cette forêt vierge dite primitive, entre végétation et rochers. Cette randonnée nous conduit vers des temples créés il y a plus de 1200 ans, vers des vestiges de certains phénomènes surnaturels dont subsistent d’étranges gros rochers et aussi vers le feu éternel du temple Reikado – ce feu brûlerait depuis 1200 ans et c’est avec sa chaleur que la flamme du mémorial de la paix à Hiroshima a été allumée.
C’est au début du neuvième siècle que Kobo Daishi, sur sa route de retour de mission vers Kyoto, créa ici la secte Shingon ; il vécut dans cette montagne comme un ermite ascète durant cent jours, à pratiquer la méditation dite « Gumonji », tout en maintenant le feu « Goma ». Le pavillon construit autour du chaudron est appelé le Sanctuaire des amoureux, la flamme étant symbole du feu éternel de l’amour … Il faudrait y venir trois fois et donc le mériter cet amour intarissable !
Du sommet, la vue devrait s’étendre sur toute la mer de Seto ; ceci par temps clair mais aujourd’hui ce seront des vues japonaises (comme sur les longs panneaux peints) avec des arbres pointant du brouillard qui s’offrent à nous. Au village, la rue commerçante, appelée l’Omotesando de Miyajima, rassemble quantité de boutiques d’artisanat et de spécialités culinaires – c’est ici qu’on déguste les meilleures huîtres du Japon ; elles sont grillées sur les braséros dans la rue. Aux devantures des magasins de Machiya dori pendent des lanternes caractéristiques qui hier soir à elles seules assuraient l’éclairage. Notre expérience gastronomique au Ryokan restera une des meilleures ; un menu Kaeseki, aux spécialités de la région, toutes en finesse, en parfums, en couleurs et en saveurs. Il était amusant de noter que les occidentaux revêtaient le Yukata pour venir au repas tandis que les asiatiques avaient conservé leurs vêtements de ville !
Miyajima est associée par sa proximité à Hiroshima, la ville de la paix et nous passons de l’île où les dieux et les hommes cohabitaient à la ville tragiquement connue de l’histoire de la seconde guerre mondiale. La météo est très morose pour notre visite du Parc Mémorial de la Paix – le message est clair : une telle horreur ne doit pas se reproduire. Le 6 août 1945 une bombe nucléaire explose à 600 mètres au-dessus de la ville, détruisant, intoxiquant, brûlant tout ; le musée est poignant, les récits relatés émouvants, il retrace très visuellement la catastrophe et ses suites, encore tangibles de nos jours chez les personnes qui l’ont vécue. Un seul bâtiment a tenu en partie debout, appelé aujourd’hui le Dôme et autour duquel le parc a été construit. Il s’agissait de la Chambre de Commerce, dont seule l’ossature métallique a tenu.
Le Cénotaphe reprend la liste des victimes connues ou supposées avoir péri de la bombe, tout document recensant la population ayant bien évidemment brûlé dans l’incendie – c’est un bâtiment moderne, dessiné par Kenzo Tange, architecte réputé au Japon. Se souvenir, pour qu’un tel enfer ne se reproduise pas, le message est tangible partout et la visite ne peut laisser personne sans émotion, mais c’est surtout un message sur la force de rebondir vers un avenir plus radieux suite à la tristesse, au deuil, à la souffrance atroce. Les japonais en sont un exemple vivant, que malheureusement ils ont vécu encore une fois plus récemment avec Fukushima. Des bouteilles d’eau un peu partout sur le site sont là pour se souvenir des gens assoiffés qui erraient dans les décombres après le bombardement, n’ayant pour boisson que la pluie noire des cendres qui tomba sur eux après la fameuse fumée blanche appelée le champignons géant.
Mais l’endroit le plus poignant du parc est sans doute le mémorial pour les enfants, autour de l’histoire qui fut très médiatisée, de cette petite fille, Sasaki Sadako, qui fabriqua de ses mains plus de 600 grues en origami, se raccrochant à la croyance que 1000 grues en papier verraient son vœu de guérison se réaliser. Le 6 août 2015, les japonais se souviendront, en se voulant les messagers de la paix …